Conférence de M. le général WEYGAND – 11 novembre 1960
Monsieur le maréchal,
Mesdames les maréchales,
Messieurs,
Permettez-moi de vous dire, mes chers amis,
Tout d'abord, je veux vous exprimer ma confusion, de prendre encore la parole dans cette école où, jadis, je n'ai pas tenté de pénétrer, par une sorte de folie de jeunesse, une passion du cheval devenue passion de la cavalerie, et de mes cavaliers, qui me faisait ardemment désirer de charger un jour à leur tête.
Il y a quelques années, un chef d’état-major a eu l'impertinence d'écrire, ou d'essayer d'écrire, un livre valable sur son chef ; c'est celui qui vous parle aujourd'hui. Il avait beaucoup médité sur ce livre, il en a relu tout à l'heure, avant de venir, quelques phrases, les suivantes :
« Vie d'une magnifique unité, consacrée tout entière à la France, à travers de longues années de travail et de méditation, guidé par un idéal, sa grandeur, jusqu'au jour où l'heure du destin sonnant pour lui, trouva le chef prêt à accomplir sa tâche pour le salut et pour la gloire de la Patrie. »
« Chef, Foch le fut au suprême degré, obtenant cette discipline active et virile qu'il avait enseignée, et dont il avait donné l'exemple lorsqu'il était à la seconde place. Une autorité souveraine émanait de lui, dans tous les actes de son commandement ; cette autorité puisait sa force par des racines profondes dans son esprit, dans son cœur, dans son âme, elle était le fruit de son savoir, de sa volonté, et aussi de sa foi. »
« La largeur et la précision d'une intelligence pour laquelle l'érudition n'était qu'une étape, une imagination qui ne s'exerçait que dans le domaine du réalisable, un élan vers l'entreprise contrôlé par la circonspection, une faculté d'analyse au service d'une rare puissance de synthèse, un don de dégager l'essentiel, une soif d'aller au fond des choses qui repoussait les idées et les formules toutes faites, un sens de la mesure enfin qui lui eût permis de faire sien le mot de Talleyrand : « Ce qui est exagéré ne compte pas. »
Telles nous étaient apparues, et nous apparaissent encore, les caractéristiques de ce grand cerveau, toujours rajeuni par des apports nouveaux, en travail constant, pour aboutir à ce qu'il appelait la « vérité guerrière », ensemble de principes constituant la doctrine qui présida à ses décisions.
Le maréchal Foch a d'abord préparé la victoire par son enseignement dans cette grande maison. La « bataille pour vaincre » est une expression qui revient souvent dans sa parole et ses écrits. Il a dit dans ses Mémoires, que sa mission de professeur de tactique consistait à faire des « vainqueurs » des officiers qui lui étaient confiés. Il a toujours travaillé pour la Victoire, c'est-à-dire pour l'offensive, seul moyen d'y atteindre. En 1914, c'est un grand penseur, mais aussi un homme d'action incomparable, qui entre dans ce qu'il a appelé « le département de la force morale », la guerre.
Aujourd'hui, nous sommes réunis pour fêter l'anniversaire de l'Armistice, celui de la Victoire de 1918, celui de l'offensive magistrale qui y conduisit les armées alliées. Je voudrais, seulement, dans le temps compté dont je dispose, vous parler de cette offensive vous dire quelle en fut la genèse, la saisir dans sa conception, la suivre dans sa longue préparation, dans sa réalisation victorieuse.
La conception première d'abord. Le programme d'action pour 1918, avait fait, à la fin de 1917, l'objet de rapports précis adressés par les commandants en chef et le chef d’état-major général de l'armée française (alors le général Foch), au Conseil suprême de guerre, qui venait d'être formé à la Conférence de Rapallo. Le programme d'action des commandants en chef ne parlait que de défensive ; c'est elle qui venait nécessairement à l'esprit puisque nous allions nous trouver, par suite de la carence de l'armée russe, en présence de plus de 200 divisions allemandes, c'est-à-dire d'une supériorité écrasante. Ce programme initial de défense s'imposait au général Foch comme à eux, mais cela ne l'empêchait pas de penser et d'écrire que le moment viendrait fatalement d'attaquer. Aussi précisait-il dans son programme qu'il fallait profiter de toutes les occasions favorables pour contre-attaquer et même exécuter, le cas échéant, une « offensive d'importance », c'était son mot, qui pourrait prétendre à de sérieux résultats ; cela à la fin de 1917.
Dans les premiers mois de 1918, ce plan fut adopté. Et puis on passa par des allées et venues, dirai-je, d'idées qui le firent abandonner, pour l'adopter de nouveau sans conviction. C'est dans ces conditions que l'on arriva à la bataille de mars 1918 et aux graves échecs des premiers jours qui amenèrent l'appel du général Foch à la tête des armées alliées.
Le général Foch, devenu le commandant en chef, a le droit maintenant et le devoir de parler en chef. Mais ce qu'il y a de caractéristique, c'est le soin qu'il prend d'abord de la défensive, un soin véritablement extraordinaire - je vous en donnerai un exemple tout à l'heure - car, contrairement à ce que beaucoup de gens ont écrit, le maréchal Foch n'était pas un « risque-tout ». Lorsqu'il parlait de Ludendorff il disait : « C'est un « risque-tout », cela lui portera malheur ». Le maréchal Foch ne craignait pas le risque, parce que l'on ne peut rien entreprendre sans risque, et qu'il était essentiellement homme d'action, mais « risque-tout », non, « risque prévu » dont la parade est prête.
Il prend le commandement le jour même et de façon magistrale. Avant de quitter Doullens, il a donné aux deux commandants en chef ses instructions : à sir Douglas Haig de renoncer à tout recul, au général Pétain d'annuler son ordre du 24, à tous deux de resserrer leur liaison en redressant face à l'Est leurs ailes intérieures. Et sans plus attendre, Foch court aux généraux dont les forces sont engagées ou vont l'être, Gough et Debeney qui précède sa première armée. Rentré à Paris à la fin du jour, il en repart le lendemain pour n'y plus revenir, avec un état-major reformé dans la nuit. Il voit Humbert à Clermont, et, à Dury, Gough encore, puis Byng à Beauquesne. En vingt-quatre heures, il a animé de sa foi et de sa volonté les chefs aux prises avec l'ennemi. Son commandement est direct et personnel, ses contacts avec les exécutants aussi fréquents que possible ; contact où se pénètrent les esprits et les cœurs, où se dégage l'essentiel.
Trois jours plus tard, sort sa première instruction générale, dont le début traite de la défense, mais dans laquelle il parle déjà d'offensive : il prescrit aux armées intéressées de préparer une attaque qui dégagera Amiens et la région d'Amiens. Pourquoi Amiens ? Parce qu'Amiens est devenue dans ces journées tragiques le symbole de la soudure tactique des armées britanniques et française ; dégager Amiens c'est rendre au trafic cet important nœud de voies ferrées, c'est rendre aux deux armées leur union stratégique. Première offensive à laquelle il faut se tenir prêt.
Les attaques allemandes continuent, elles font des progrès, il faut penser non seulement à défendre Amiens et à reprendre la libre disposition de ce point d'une importance capitale, mais également à rendre au trafic la voie ferrée Paris-Amiens, devenu impossible. Dégagement de la voie ferrée Paris-Amiens : deuxième attaque à préparer.
D'un autre côté, dans les Flandres, l'offensive allemande du 9 avril a gagné une forte avance, qui met les mines de Bruay sous le canon allemand. Il importe de libérer cette région dont la production est indispensable à la France.
Voilà donc à ce moment trois attaques à buts bien définis, que les armées placées pour les opérer ont l'ordre de préparer : Amiens et le dégagement d'Amiens, dégagement de la voie ferrée Paris-Amiens, et dégagement de la région des mines de Bruay. Et si tendue que soit la situation, le général Foch avec le même souci de la défense, veillera toujours à la bonne exécution de ces préparatifs d'attaques. C'est là un clavier d'opérations devenues familières aux armées par la continuité de leur préparation.
Il en sera de même et pendant les quatre mois que vont durer tes offensives ennemies, Foch ne perd jamais de vue, cette loi de la guerre dont il est imprégné, idée fondamentale de son plan de campagne, que, pour vaincre, il faut attaquer. Il n'admet pas que toutes les énergies ne soient pas tendues comme la sienne vers ce facteur essentiel de victoire. Pendant des mois, ces projets offensifs seront mis à néant par les initiatives adverses. Il attendra ce qu'il faudra. Mais quand l'heure sonnera, il sera prêt à frapper sans retard à son tour. Il veut que tous le soient comme lui. C'est l'avenir qu'il s'attache à rendre possible, tel qu'il le comprend, offensif.
Le temps passe. Les armées américaines se forment. Une première mission à leur donner sera de dégager la voie ferrée Paris-Nancy que bloque ce que l'on a appelé la « hernie de Saint-Mihiel ». Cette quatrième offensive complète le clavier.
Après l'échec français du 27 mai la situation aventurée dans laquelle son avance profonde a placé la VIIe armée allemande, dont tous les ravitaillements passent par Soissons, n'a pas échappé au général Foch. Cet échec qui a rapproché l'ennemi de Paris, a suscité de violents remous politiques. Mais M. Clémenceau a pris avec énergie la défense du haut commandement et vite fait taire les partis qui l'attaquaient. Le général Foch ne s'émeut pas. Il est tout à sa bataille, encore défensive, mais sans cesser de songer au parti qu'il peut tirer du point faible constaté chez l'adversaire. C'est ainsi que nait en lui le projet d'une cinquième attaque, qu'il faudra exécuter un jour, en vue d'occuper les plateaux de la région de Soissons, de troubler les communications de la VIIe armée et de lui causer ainsi un préjudice notable.
Une nouvelle offensive allemande se prépare, sur laquelle, contrairement à ce qui s'est produit pour les précédentes, nous sommes progressivement parfaitement renseignés sur l'action dans laquelle Ludendorff a peut-être mis son dernier espoir le « Friedensturn », c'est-à-dire, l'assaut de la paix.
Au début de juillet, des indices d'attaque se sont révélés en Champagne. Les 11 et 12, ces renseignements se précisent. Trois armées allemandes, les VIIe, Ire et IIIe armées allemandes, du groupe du Kronprinz impérial, se préparent à attaquer le 14 ou le 15 juillet sur le front de 80 kilomètres s'étendant de Jaulgonne à la Main de Massiges. La décision de mon chef prend corps : d'une résistance victorieuse à l'offensive de Ludendorff, de la position aventurée de la VIIe armée dans le Tardenois, il fait sortir la combinaison d'une défensive renseignée, fortement dotée et habilement conduite, avec une contre-offensive lancée par surprise dans le dos de la VIIe armée.
Cette contre-offensive, préparée dans le secret le plus absolu, ne peut être lancée que le 18. Il est donc indispensable que la défense tienne pendant trois ou quatre jours, qu'elle s'oppose, pendant ce délai imposé, à tout progrès inquiétant de l'adversaire. Être vainqueur dans la bataille défensive à livrer tout d'abord est la condition indispensable au succès de l'ensemble de l'entreprise. Défense habile, avons-nous dit ; c'est la part du général Pétain, dont la technique va être pratiquée sur le front particulièrement bien organisé de l'armée Gouraud. Défense bien dotée ? C'est la part du général Foch et de l'emploi de ses réserves. C'est le point sur lequel je me proposais d'insister.
Il a fait affluer sur ce champ de bataille : 38 divisions réservées (29 françaises, 4 anglaises, 5 américaines). Il en a affecté 24 à la défensive, qui, avec les 20 divisions déjà en ligne font un total de 44 divisions pour assurer ce premier succès défensif essentiel. Les 14 divisions restant à la réserve sont mises à la disposition de l'offensive Mangin-Degoutte ; avec les 10 divisions déjà en ligne 24 divisions sont la part de l'offensive très renforcée en artillerie et dotée de 500 nouveaux chars de combat. J'ai insisté sur cette économie des forces, parce qu'elle fait comprendre à quel point le général Foch a le sentiment de l'essentiel. Ce « risque-tout » ne risque qu'à bon escient.
Tout en effet marche comme il l'avait prévu. Les Allemands éprouvent un sanglant échec devant l'armée Gouraud qui a mis en œuvre, sur 40 kilomètres de front, la technique défensive de Pétain avec une totale réussite. A l'ouest de Reims, que les Allemands n'ont pas attaqué, ils ont obtenu des avantages ils ont franchi la Marne à la droite de l'armée Degoutte, et gagné sur l'armée Berthelot une avance dans la vallée de l'Erdre.
Le général Foch a attendu d'être suffisamment renseigné. A 9 heures, il juge gagnée la bataille défensive ; il estime que les réserves, devenues inutiles à l'armée Gouraud, renforceront encore celles dont le général Pétain dispose déjà à l'ouest de Reims, et permettent largement à la défense de tenir les trois jours, qui les séparent de la contre-attaque du 18 juillet. Foch quitte alors son quartier général pour aller mettre le maréchal Haig au courant et, prévoyant l'avenir, lui dire : « Préparez plus que jamais l'attaque de dégagement d'Amiens. »
Le 18 juillet, part l'offensive des armées Mangin et Degoutte. La surprise est totale. Les premiers renseignements annoncent la capture de 10 000 prisonniers et de nombreux canons.
Le coup d'arrêt à l'offensive allemande est donné. Ludendorff ne s'y méprend pas ; il s'efforce de tirer la VIIe armée de son mauvais pas, et les combats seront très durs pour que les armées Mangin et Degoutte arrivent à la Vesle sur laquelle dans les premiers jours d'août Foch arrêtera leurs attaques. Car pour Foch, il ne s'agit pas seulement d'un coup de boutoir destiné à faire lâcher prise à l'ennemi. Pour lui, la victoire du 18 juillet sonne l'heure patiemment attendue pendant quatre mois de défensive, l'heure où l'ennemi, épuisé par ses efforts, démoralisé par leur insuccès, est en état de moindre résistance, celle où la conduite de la bataille passe entre ses mains. Foch ne s'en laissera pas dessaisir. Le 24 juillet, il réunit les commandants en chef alliés à son quartier-général de Bonbon. Après un exposé sur l'état d'usure de l'armée allemande, le manque de mobilité d'un grand nombre de ses divisions, l'entrée prochaine des armées américaines dans la bataille, notre supériorité en réserves fraîches, en avions et en chars, à quoi s'ajoute l'ascendant moral de la victoire, il conclut que « le moment est venu de quitter l'attitude défensive, imposée jusque-là par l'infériorité numérique et de passer à l'offensive ». Pour ne pas laisser à l'ennemi le temps de se reprendre, il dispose du jeu d'attaque qu'il a fait préparer.
La plus urgente d'entre elles est celle qui vise le dégagement d'Amiens et de la voie ferrée Paris-Amiens, dont le trafic est indispensable à la liaison totale des deux grandes armées alliées. Cette offensive sera exécutée par les deux armées jointives, la IVe britannique (Rawlinson) la 1re française (Debeney), placées toutes deux pour cette opération sous les ordres du maréchal Haig. Le 26 juillet, il donne l'ordre d'exécution. Elle partira le 8 août, le feu à peine éteint sur la Vesle.
Avant d'aller plus loin dans le récit très résumé des faits, je crois le moment venu de définir ce que sera la bataille de Foch. Toutes les offensives à objectif décisif de la guerre, lancées dans les deux camps sur le front occidental, ont échoué. Elles ont présenté un certain nombre de caractères communs : l'obstination sur le front initial d'attaque, la limitation à une seule attaque (à laquelle d'ailleurs les moyens existants suffisent à peine), et par suite l'ennemi laissé libre de l'emploi de ses réserves ; les faiblesses d'une poche pénétrant en saillant chez l'ennemi ; l'intervalle de temps laissé entre deux offensives successives.
Le maréchal Foch, libéré de ces impossibilités matérielles, ne s'obstinera pas sur le même front d'attaque. Lorsque la résistance s'y révélera plus forte, où, en prévision d'une puissante organisation défensive à enlever, il étendra aux deux ailes le front d'attaque. L'avance, obtenue de part et d'autre, favorisera le démarrage en front initial d'attaque momentanément arrêté, et fixera de nouvelles réserves ennemies. La surprise sera rendue possible par la suppression de la préparation préalable, grâce à la puissance accrue de l'artillerie des chars de combat.
Ainsi, l'offensive de Foch ne ressemblera à aucune de celles qui l'ont précédée. Toutes ont débuté par un avantage initial s'amenuisant jusqu'au moment où la vague d'assaut venait mourir impuissante devant une ligne de feux plus dense reformée par l'adversaire. Celle de Foch, au contraire, ne cessera de s'étendre et de s'intensifier. Au lieu d'accumuler dans le fond d'une poche et dans un terrain ravagé, où tout devient difficile, lent et coûteux, des effectifs, là où le nombre n'a que faire, le maréchal élargira sa bataille par des actions d'ailes pour arriver à ce qu'il a toujours pensé que devait être la « bataille pour vaincre », l'offensive générale des Armées alliées.
Le 8 août, la surprise est totale, l'attaque remporte un plein succès, chez Rawlinson comme chez Debeney. Vous vous souvenez qu'un général allemand est pris dans son poste de commandement par les Anglais. Quelques jours plus tard nous apprenons que les renforts allemands, qui arrivent à la rescousse, sont hués par les soldats en ligne, fait marquant, dans une armée aussi disciplinée. Foch pousse les armées à continuer sans fléchir leurs attaques. La Ille armée (Humbert), qu'il fait attaquer à la droite de Debeney, atteint ses objectifs sans avoir été renforcée.
Mais sir Douglas, Rawlinson et Debeney signalent que l'ennemi offre une résistance accrue. C'est alors le moment pour le maréchal Foch d'une décision capitale. Le 12 août, il prescrit au maréchal Haig de préparer l'entrée en ligne du général Horn (IIIe armée britannique) à la gauche de Rawlinson, et au général Pétain de préparer celle de l'armée Mangin (Xe armée française) à la droite de Humbert. Le 15, en même temps qu'il donne l'ordre ferme d'exécuter cette extension du front de l'offensive, les trois armées déjà en opération reçoivent l'instruction d'attendre cette exécution pour reprendre leurs attaques. Le maréchal Foch évite ainsi aux exécutants de vains efforts et des pertes inutiles. D'autre part, cette extension est pour lui, dans la conduite générale de la bataille, une étape vers le développement qu'il aspire à lui donner, si elle se poursuit favorablement.
Les 20 et 21 août, les armées Byng et Mangin attaquent avec un égal et éclatant succès. Les armées du centre reprennent leur avance sur Roye et Chaulnes. La Somme est franchie. L'offensive de Picardie, s'étend maintenant sur 130 kilomètres de front, cinq armées talonnent les forces allemandes en retraite vers la position Hindenburg.
Est-ce déjà, le début de « l'offensive d'importance » ?
Le nom importe peu. Le maréchal Foch ne m'a fait aucune confidence à ce sujet. Lorsque, avec le recul du temps, je médite sur les conséquences de cette première extension de l'offensive, je conclus que cette décision de mon chef a rendu possible la victoire en 1918.
Le 26 août, le maréchal Haig prend l'initiative d'engager dans la bataille sa Ire armée (général Horn) au nord de la IIIe, avec la mission qu'il accomplit brillamment de désarticuler le point d'attache de la position Hindenburg avec le front allemand du nord. Sur l'ordre de Ludendorff la retraite des armées ennemies sur la position Hindenburg a commencé le 3 septembre et se termine le 9. A cette date, les armées alliées prennent contact avec cette ligne.
Dès le 3 septembre, le maréchal Foch avait ordonné une nouvelle extension de l'offensive. La position Hindenburg est fortement organisée, il faut la conquérir de haute lutte, en évitant de s'y user de front. D'autre part, le maréchal vise l'occupation aussi rapide que possible d'un point d'une importance stratégique particulière, Mézières, sur le trajet de la ligne de rocade reliant l'ensemble des armées allemandes. Ces deux objectifs réclament cette nouvelle extension du front d'attaque jusqu'à la Meuse. Elle sera exécutée par la IVe armée française (général Gouraud) et la Ire armée américaine, en direction générale de Mézières, sous la haute direction de Pétain.
Le 9 septembre enfin, le maréchal prolonge au nord le front de l'offensive jusqu'à la mer. Il demande à cet effet à S.M. le Roi Albert de prendre le commandement d'un groupe d'armées composé de l'armée belge, de la IIe armée anglaise (général Plumer) et d'une Vie armée française (général de Boissoudy). Le Roi aura ainsi l'honneur, qui lui est bien dû, de rentrer en Belgique à la tête de ses armées victorieuses.
Les 25, 26 et 27 septembre, ce sont douze armées alliées qui marchent à l'attaque finale, sur 350 kilomètres d'étendue, de la mer à la Meuse.
Sur « le plan incliné de la Victoire, les armées ont des ailes ». Le 28 septembre, les chefs de l'armée allemande réclameront à leur gouvernement l'arrêt des hostilités. C'est sur ce tableau que je m'arrête, désirant vous laisser sous l'impression de ce que fut l'offensive de la bataille de France, dont mon chef avait tracé le plan général dès la fin de 1917, et qu'il a conduite avec une décision et une maîtrise, que j'ai essayé bien imparfaitement de vous rappeler.