Allocution d'ouverture du stage de la 101e promotion prononcée par le général de corps d'armée GABRIEL le 2 Septembre 1987
Messieurs les officiers stagiaires,
Ce sont d’abord des mots de bienvenue que je désire vous adresser en cette séance d'ouverture qui marque une nouvelle phase de votre carrière.
Bienvenue en particulier à vous messieurs les officiers stagiaires étrangers. Votre présence parmi nous honore l'École et constitue un précieux témoignage de confiance et d'amitié de la part des hautes autorités de vos pays. Vous apportez notamment aux stagiaires français des expériences professionnelles très diversifiées ainsi qu'une approche souvent différente mais toujours enrichissante dans nos études. Soyez assurés que notre confiance et notre amitié vous sont totalement acquises.
Bienvenue à vous officiers stagiaires français. Votre réussite récompense vos mérites et je vous en félicite. Votre promotion est marquée par le signe de la diversité. En effet la majorité d'entre vous est issue du concours 1985, caractérisé par un premier cycle de deux années avant l'entrée à l'École. Un nombre important parmi vous est issu du concours 1987. Votre premier devoir à tous est de réaliser rapidement l'amalgame et de former une promotion unie. Votre entente est pour vous un gage d'avenir. Les problèmes les plus complexes trouvent toujours des solutions entre des hommes qui se connaissent et s'apprécient. J'appelle aussi votre attention sur le véritable privilège qui consiste à consacrer deux ans de votre maturité, dégagés de tout souci immédiat, à élargir le champ de vos connaissances, à les enrichir par la réflexion et à vous préparer ainsi à mieux exercer vos futures responsabilités.
Ce privilège vous impose des devoirs ; chassez donc au passage ce vieil adage selon lequel le plus difficile est d'entrer à l'École de Guerre, car il n'a jamais été exact et ne l'est pas plus aujourd'hui. Le plus dur sera de vous montrer dignes d'y avoir été admis en tirant le profit maximum des possibilités d'enrichissement qui vous sont offertes. Le bilan sera dressé par chacun d'entre vous plus tard, après la sortie de l'École, face à la réalité des hommes et des faits. C'est alors seulement que vous pourrez mesurer concrètement les retombées de l'enseignement reçu.
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Je voudrais maintenant rappeler la mission de l'École à votre égard - Les voies et moyens d'accomplissement de cette mission vous seront exposés ultérieurement par le directeur des études et votre commandant de promotion - ne souhaitant pas les paraphraser, je me limiterai à vous préciser ensuite le cadre général de vos études et l'ambiance dans laquelle celles-ci devraient se dérouler.
Le ministre et le haut-commandement ont fixé deux objectifs à l'enseignement :
- à court terme, former des officiers utilisables dès leur sortie de l'École dans les états-majors,
- à échéance, préparer ces officiers à exercer des responsabilités de niveau élevé dans des postes de commandement ou de direction.
Vous former comme officier d'état-major de 1989 et vous préparer aux grandes responsabilités à l'horizon 2000 impliquent naturellement une conduite différenciée de l'instruction et une distinction permanente entre la "doctrine" pour le premier objectif et la "recherche" pour le second.
La "doctrine", base de nos études tactiques, est arrêtée à partir des grandes options politiques et stratégiques. Elle constitue le cadre précis dans lequel nous serions appelés à combattre demain s'il le fallait. Vous devez donc l'assimiler avec résolution, parfaitement connaître les règlements existants pour être des exécutants fidèles et efficaces au poste qui serait le vôtre en cas de conflit ; ce qui n'exclut pas bien au contraire, la capacité, que vous devez avoir, de réagir à l'inattendu. Si la doctrine mérite d'être débattue, c'est essentiellement pour être approfondie et non pour être contestée. Elle n'est pas pour autant figée mais son évolution est à l'abri de toute mutation brusque tant que subsisteront les options fondamentales arrêtées par les responsables de notre défense.
La "recherche" en revanche est largement ouverte. Vous pourrez laisser libre cours à votre sens critique et à votre imagination créatrice. Vous pourrez en particulier proposer des solutions à des problèmes importants concernant notre Armée de Terre,
Vous aurez l'occasion dans certaines études et notamment dans les Grandes Commissions, de réfléchir au futur, aux nouveaux matériels, aux nouvelles tactiques. Mettez en cause les idées reçues, certes, mais ayez la lucidité de conserver celles qui méritent de l'être. Argumentez vos propositions de façon convaincante, intégrez les acquis, les contraintes financières, les délais, le comportement de l'environnement, soyez concrets et réalistes, ayez un langage de responsable.
Il existe donc une nécessaire complémentarité entre la connaissance précise de la doctrine et l'esprit de recherche. Pendant votre séjour à l'École je vous engage à cultiver l'une et l'autre.
Le souci de recherche et d'ouverture nous conduit alors à refuser de faire de vous un produit fini, c'est-à-dire un modèle unique d'officier capable d'exercer ultérieurement de hautes responsabilités. Deux raisons justifient cette volonté.
Il est en effet impossible de définir un type de chef militaire valable pour toutes les guerres, car les circonstances, qui décident de tout, changent et chacune d'entre elles exige des types d'hommes différents ; c'est la première raison.
En outre, tout officier de votre expérience a déjà son propre système de pensées, ses données de référence et son échelle de valeur qui ne peuvent être abolies en entrant dans cette maison"; c'est la deuxième raison.
L'École n'est donc pas un moule qui fabrique « un produit fini », elle est seulement un cadre favorable permettant à chaque personnalité de s'enrichir et de s'épanouir tout en s'appuyant sur un fonds commun d'enseignement.
Comme le disait le Général ARNAUD DE FOIARD dans son allocution d'ouverture du stage de la 91e Promotion, il y a dix ans : « Vous êtes donc ici en posture de préparer l'avenir, de mûrir vos idées, de vous concentrer sur ce qui vous semble essentiel en prévision de votre action de demain. C'est là sans conteste la raison d'être fondamentale de votre présence en ces murs ».
Le contexte général étant défini, dans quelle ambiance doit se dérouler le stage qui s'ouvre aujourd'hui ?
L'ambiance traduit la confiance que nous vous accordons. Vous êtes en effet des hommes mûrs, capables de participer largement à votre propre formation.
C'est pourquoi, il n'y a pas de classement à l'intérieur d'une promotion. Bien sûr vous serez notés chaque année comme tout officier de l'armée française suivant les règles connues. Votre personnalité, vos aptitudes, vos qualités d'homme et d'officier importent plus que votre savoir. D'ailleurs soyez persuadés que dans le dossier d'un officier breveté, les appréciations méritées pendant le séjour à l'École supérieure de guerre comptent beaucoup moins que celles obtenues au cours des commandements ou des autres fonctions de responsabilité dans la troupe ou en état-major - et ce n'est que justice puisque vous êtes momentanément privés de véritable responsabilité. Débarrassés de toute idée de compétition, restez donc sereins et naturels.
Par ailleurs, méfiez-vous d'un travers dans lequel le confort intellectuel de votre situation peut vous faire tomber. Soyez exigeants certes, ayez l'esprit critique et constructif qui est la marque de l'intelligence, mais refusez l'esprit de critique systématique cachant souvent une connaissance superficielle du sujet traité.
Vous aurez aussi parfois quelques insatisfactions dues aux courts délais consacrés à certaines études. Ceci semble paradoxal pour un stage de deux armées. En réalité, il s'avère difficile d'enseigner dans le détail l'ensemble des disciplines utiles à votre formation. Les études opérationnelles essentielles, particulièrement au niveau de la division et au niveau du corps d'Armée, seront approfondies, ce qui ne pourra pas être le cas de toutes les études générales pourtant fort intéressantes.
Mais votre formation ne commence pas à l'École supérieure de guerre, elle ne s'y arrête pas non plus. Vous approfondirez ultérieurement les disciplines que vous estimerez indispensables de maîtriser en fonction de vos responsabilités du moment.
Vous disposerez également d'une certaine liberté pour organiser vos études. Mais n'en abusez pas. Un excès dans ce domaine conduirait à une perte de temps et il faut tenir compte aussi des contraintes de programme, de locaux, de disponibilité de conférenciers ; en revanche chacun devra apporter aux autres le meilleur de son savoir, transmettre sa propre expérience ; c'est une manière très fructueuse de participer à sa propre formation et à celle d'autrui.
Il vous faut encore pratiquer deux vertus indispensables dans une vie de groupe : la modestie et la générosité. La modestie, car si vous pouvez à juste titre être fiers de votre réussite, celle-ci ne vous accorde pas systématiquement la compétence universelle et encore moins l'expérience, irremplaçable.
Respectez donc les autres, même les plus humbles, et sachez reconnaître leurs mérites. La générosité, car votre situation privilégiée vous crée des devoirs bien plus qu'elle ne vous accorde de droits. Vous recevez beaucoup, même si vous n'en avez pas une conscience nette ; vous devrez plus tard donner beaucoup.
Voilà ce que je vous propose pour que votre vie en commun soit à la fois sérieuse et détendue. Pour ma part je m'efforcerai de favoriser cette ambiance, je viendrai parmi vous aussi souvent que possible. Je prendrai vos travaux au point où ils en seront et je vous demande de rester vous-mêmes en toute circonstance.
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En guise de conclusion, je souhaite vous faire une dernière recommandation qui pourrait condenser tous les souhaits que je formule en votre faveur.
Soyez bien sûr des hommes de réflexion et de culture, capables de comprendre les leçons du passé et d'en tirer les enseignements actuels.
Soyez aussi des hommes d'action en prise avec les faits et prêts à réagir à l'inattendu.
Souvenez-vous enfin que vous devez être des hommes de conviction afin de transmettre votre foi et vos connaissances.
Voilà, Messieurs, la route à suivre. Avec vos professeurs qui ont toute ma confiance, je ne doute pas que son parcours sera fructueux.
Je vous souhaite donc bonne route !