En rev'nant de Montereau – souvenir de l’École de guerre
Article paru dans la revue Armée et Marine du 17 janvier 1904
Les officiers élèves de l'École supérieure de guerre emploient, on le sait, une partie de belle saison à parcourir la France pour étudier sur place l'organisation des frontières, des camps retranchés, des arsenaux et des grands établissements militaires.
Un de leurs voyages est consacré uniquement à l'étude pratique de la fortification ; comme application du cours très savamment professé à l’École, on leur fait établir en un point stratégique judicieusement choisi, une place du moment.
Montereau, avec son pont, où périt Jean de Bourgogne, et, où les recrues de Napoléon culbutèrent les Prussiens, est un de ces points stratégiques que visitent chaque année les générations successives de nos officiers d'état-major.
Un de leurs derniers voyages a inspiré aux poètes de la .promotion les vers que nous publions ci-dessous ; ils ne conduiront sans doute pas leur auteur à l'Académie, bien que le bâtiment du bout du Pont des Arts en ait parfois accueilli d'aussi discutables ; mais enfin ils témoignent d'une franche gaîté et d'un esprit de jeunesse que Von ne peut qu'approuver dans cette belle École où l’on oublie la rivalité d'armes à mesure que l'on apprend à se mieux connaître : fantassins, cavaliers, artilleurs et sapeurs sortant de l'École supérieure de guerre ne forment plus qu'un corps, celui des officiers d'état major, ayant pour devise celle que, dans un accès de franchise, l’austère général Pierron déclarait ex-cathedra devoir être celle du breveté, quelle que fut son arme, Mousquetaire et bénédictin.
Est-il besoin d’ajouter que de même que le poète, l’illustrateur appartient plutôt à la famille Mousquetaire.
En rev'nant de Montereau.
(sur l’air de En rev’nant de la revue)
Paroles de BOICHUT
Dessins de GUEDENEY
I
Je fais partie du premier groupe
Qui étudie depuis longtemps le projet
D’amener à Montereau de la troupe
Pour y faire un grand camp retranché !
Après avoir vu M’sieur Mereau
Nous sommes partis pour Montereau
Le commandant Hocquart en avant
Et les autres par le train suivant
Nous avons apporté
De quoi pouvoir dessiner
Des gommes, des crayons, des planchettes
Des molletières et des bicyclettes
L’aide-mémoire du génie
Celui de l’artillerie
Car il fallait accoupler
Ces armes qui tout le temps se mangent le nez.
Refrain
Gais et contents
Pour notre plan du moment
Nous partions triomphants le cœur à l’aise
Sans hésiter, car nous allions piqueter
Retourner et creuser la terre française.
II
Nous faisions des retranchements en terre
De forts ouvrages de passagère
Comme çà nous passâmes plusieurs jours
En explorant les alentours
Poindron compte les fils de fer
Des réseaux de défenses accesouères
Et Beaussenat dut recenser
Ce qu’il faut aux troupes pour boulotter
Dans les parcs du génie
Pleins de chevalets, d’outils
Boichut s’occupa de fascinage
Hennocque fit la grosse ouvrage
Sous l’ingénieur Renaud
Sans ballast, sans travaux
On vit marcher le Péchot (1)
Comme l’express de Paris-Bordeaux.
Refrain
III
A Moitessier la tâche incombe
D’avoir les deux pieds dans la tombe
De Gondrecourt est chef de secteur
Et Rondeleux chef de sous-secteur
Le Rond ne parle que d’érection
D’observatoires et de ballons
Guedeney fait le plan directeur
Avec toutes sortes d’encres de couleur
Il me reste pour la fin
A vous parler de Gascouin
Pour lui ce travail aux autres si dur
Fut une simple villégiature
Pourtant à son avis
Fallait pas venir ici
C’est Moret qu’on devrait fortifier
Parce qu’il y a ses propriétés.
Refrain
IV
L’artilleur, commandant Spilleux
Réunit tous les trains de banlieue
Les remplit de canons, de lambourdes
Et d’un tas de choses très lourdes
Il dit déclasser d’anciennes places
Pour leur chiper leurs Douze culasse (2)
Par son ordre le matériel Péchot (1)
Navigua sur un pont de bateaux
Mais le plus beau résultat
Qu’on nous montra là-bas
C’est que malgré l’antipathie
De l’artillerie et du génie
Un mariage de raison
Peut se faire à l’occasion
Et réunir les cœurs
Des sapeurs et des artilleurs.
Refrain
V
Après que nous eûmes bien calculé
Les heures de travail de nos tranchées
Le grand chef commandant Clergerie
Fit la critique à la mairie
En quelques mots pas trop sévères
Montra les progrès de l’art militaire
Grâce auquel nous mettons moins de temps
Pour faire une place que sous Vauban
Trouva pourtant que Pilzer
Remuait trop vite la terre
Qu’il exténuait le pauvre sapeur
Bien que le travail lui fasse pas peur
Il aime bien qu’on inonde
Surtout quand l’eau abonde
Et fut si content de nos croquis
Qu’il nous rouvrit le chemin de Paris.
Refrain
Gais et contents
De notre place du moment
Nous regagnons paris le cœur à l’aise
Sans hésiter, car nous avions assez
Creusé et brouetté la terre française.
(1) Le matériel Péchot, du nom du colonel Péchot, qui fut à son origine, est un système matériel roulant et de voies ferrées utilisé pour le transport des matériels en campagne.
(2) Le canon de 12 culasse est un obusier de 12 modèle 1853, rayé en 1859, modifié à culasse en 1884 pour une utilisation dans une caponnière ou dans un coffre ; il est utilisé à l’époque pour la défense des fossés des ouvrages fortifiés.