ALLOCUTION, LE 11 NOVEMBRE 1960, DU GÉNÉRAL ARNOUX DE MAISON ROUGE, COMMANDANT L'ESG ET L'EEM

Monsieur le Maréchal,

 

En plaçant cette journée du Souvenir sous le double signe :


- de l'hommage rendu à ceux qui ont fait le sacrifice de leur vie à la Patrie,

- et du culte adressé à un prestigieux passé, l'École supérieure de guerre et d'état-major remplit le plus sacré des devoirs.


Elle sait quel honneur représente pour elle la présence ici, à cette cérémonie, du plus haut dignitaire de notre armée, le vainqueur du Garigliano, et de celles qui maintiennent vivaces parmi nous les incomparables titres de noblesse attachés aux noms glorieux du commandant de la 1re armée française et du chef de la 2e division blindée.


Et c'est avec émotion et respect, que les officiers réunis dans cette salle saluent le chef d’état-major de notre victoire de 1918.


L'École de Guerre est particulièrement fière également de voir, revenus ce soir dans ses murs, avec ses anciens stagiaires parvenus aux plus hautes charges du commandement, la plupart des officiers généraux, qui ont eu mission de la diriger et de la perpétuer depuis plus de 30 ans. Ils se sont réunis ici en cette après-midi du 11 novembre, sous le signe du plus illustre des commandants de l'École supérieure de guerre, qui conduisait, il y a 42 ans, les armées alliées à la victoire.


L’École, enfin, est heureuse de pouvoir remercier tous ceux qui ont déjà eu la générosité de se priver de souvenirs très chers, pour enrichir la salle d'honneur que nous inaugurons.


 

J'ai voulu que la salle d'honneur de l'École dont l'ouverture avait été décidée par mon prédécesseur le général Lecomte, porte le nom, illustre entre tous, de « Foch ». Ce parrainage est d'autant plus cher à l'École qu'il incarne la victoire de nos armées et aussi ce principe de volonté, sans lequel il ne saurait y avoir de succès. Il nous transmet l'enseignement suprême du passé que le présent, si lourd d'angoisse, en ce 11 novembre 1960 doit courageusement recueillir pour garantir l'honneur et assurer l'avenir.


Le maréchal de France, de Grande-Bretagne et de Pologne, dont le nom est inséparable de l'École supérieure de guerre, sera désormais, plus que jamais, pieusement vénéré ici, et aussi tous ceux qui avant lui, et après lui, ont conduit jusqu'au « Chef-d'œuvre » leur partition dans l'Art militaire français.


Ce sanctuaire manquait au recueillement et à la méditation d'officiers français et étrangers qui se succèdent à l'École, comme aussi il manquait à l'admiration des nombreux visiteurs de qualité que le renom de nos grands anciens et des « Maîtres à penser » attire en ces murs tant chargés d'histoire.


Que de leçons à retirer de ces rencontres avec un passé glorieux. Elles auront d'autant plus de rayonnement que les images et les souvenirs des grands chefs militaires dont nous sommes fiers et dont nous devons être les dignes héritiers, seront merveilleusement présents sous nos yeux.


Là, dès l'entrée, le lieutenant-général de Bourcet évoquera la volonté de redressement des armées de l'Ancien régime, après les douloureux échecs de la guerre de sept ans. Conseillé par le maréchal de Broglie, Bourcet va diriger le premier corps d'état-major de notre armée, que le duc de Choiseul vient de constituer. Ainsi vont être fixés les enseignements de toutes les études militaires menées par Folard, Saxe, Broglie, et bientôt Guibert. Avec ce dernier, la pensée militaire française atteindra une originalité et un degré de maîtrise, qui appelait le génie capable de transformer ce qui n'était que théories en un véritable « Art de la Guerre ». La pensée va devenir action avec le plus grand capitaine de tous les temps.


Car à cette même époque « l'Hôtel de l'École militaire », dont la construction avait été entreprise en 1750, sur décision de Louis XV, ouvrait, en 1784, les portes de sa nouvelle École de Cadets-Gentilshommes  à un jeune homme de 15 ans, que son mérite avait désigné pour y être « élève du roi », c'est-à-dire boursier : il s'appelait Bonaparte. L'année suivante le jeune d'Avout y venait à son tour.


Ainsi, le futur vainqueur d'Austerlitz a, en 1784, formé sa pensée dans ces murs où l'École de guerre viendra en 1880, s'établir, et renouer par là avec l'esprit qui avait animé, un siècle plus tôt, cette élite militaire française de la fin de l'Ancien régime, cette élite qui, après les défaites, s'était repliée dans le travail, tout en répondant, et avec quel éclat ! aux vocations lointaines de notre pays.


C'était, à la fin du XVIIIe siècle, l'appel vers l'Amérique, comme ce sera, au XIXe, l'appel vers l'Asie et l'Afrique.


Ce rayonnement de la France « Outre-Mer » sera placé ici sous la haute et fière silhouette d'Hubert Lyautey, fondateur d'Empire et maréchal de France, symbole de notre grandeur.


Lyautey était sorti de la dernière promotion de l’École d'application d'état-major que Gouvion-Saint-Cyr avait eu la sagesse de créer, après 1815, afin que ne soit pas tout à fait oublié dans la Paix, « l’Art de vaincre », avec lequel un ancien Cadet-Gentilhomme avait subjugué la Révolution, séduit la République et fait de l'Europe son empire.


L'École d'état-major a vécu de 1818 à 1878. Tout son programme tenait dans le règlement rédigé par le général baron Thiébault, un vétéran des guerres de l'Empire, ancien élève de Berthier, ce chef d'état-major de la Grande armée que le Premier consul avait été chercher parmi les anciens de l'École d'état-major  de Louis XVI. Ceux-ci avaient été formés par le marquis d'Aguesseau, selon les règles de Bourcet. La guerre d'Amérique leur avait appris avec quelle méticuleuse méthode devaient se régler les mouvements de troupe et la vie des armées en campagne.


Ainsi, c'est bien, dans le domaine du travail d'état-major qu'apparaît le plus nettement cette admirable continuité de la pensée militaire française, à travers les vissicitudes de l'histoire et les caprices de la gloire.


 

Mais, soyons francs : l'étude, la réflexion, et la méditation sur la conduite de la guerre n'avaient guère survécu aux batailles napoléoniennes.


Et ce fut l'éminent mérite du général de Cissey, ministre de la Guerre, et d'un vrai chef comme le général Lewal, de forcer les routines et d'appeler les élites du corps des officiers à se grouper désormais deux années ensemble, pour travailler à se former des esprits, des jugements, et des volontés de chefs.


On voit d'abord une « École militaire supérieure ». Deux ans plus tard, en 1880, elle devient l’École supérieure de guerre, prenant place dans l'admirable cadre de l'École militaire.


Le général Lewal avait donné l'élan. Bientôt, un véritable renouveau des études stratégiques et tactiques va prendre son essor. A la lumière de la pensée napoléonienne, les Maillard, Millet, Langlois et Bonnal rappellent aux officiers d'après 1870 qu'au courage du combat, et à la technique de l'état-major, il faut ajouter la « Science de la Victoire ».


« Ce fut, devait écrire plus tard le capitaine Foch, alors stagiaire de la 11e promotion, une véritable révélation... pouvoir rationnellement aborder les problèmes de la « Grande Guerre », les raisonner, les discuter, en avancer la solution sur des bases solides. »


Avec Foch l'École, rénovée par lui en 1908, connaîtra son apogée. « Si j'ai pu faire ce que j'ai fait, dira dans sa retraite le Maréchal Foch, et rendre à notre pays les services que je crois lui avoir rendus, c'est parce que j'ai été professeur à l'École de guerre. Jusque-là je n'avais pas médité sur les conditions générales de la guerre. Professeur, j'y fus obligé, et, afin de les enseigner, de les connaître à fond. »


L'École supérieure de guerre pourrait inscrire sur son livre d'or ce précieux témoignage. Mais il n'en est pas besoin quand on jette un coup d'œil sur ces murs chargés des souvenirs de cette cohorte de chefs prestigieux, qui témoignent des triomphes des pensées et des volontés militaires françaises.


Autour du portrait de Foch, vainqueur du 11 novembre, ne voyons-nous pas, en effet, veiller ceux qui, à son école, à ses côtés, ou simplement suivant ses leçons, ont réussi, eux-aussi, à conjuguer si admirablement la pensée et l'action ?


Parmi ces témoignages, ce sera une marque inoubliable pour les officiers qui participent aujourd'hui à cette cérémonie du Souvenir, d'entendre maintenant le général Weygand évoquer comment Foch et son état-major ont su incarner en gestes de guerre victorieux ces sommes de pensées et d'imagination dirigées qu'avaient amassé patiemment depuis des années les élites de notre Armée.


Le message du général Weygand constituera ainsi pour nous un grand thème de méditation. Il nous apparaîtra aussi comme une « vocation », dans le sens de cet appel qu'entendent les esprits et les cœurs, quand il faut, au milieu des écueils, sans défaillance orienter sa vie et diriger celle des autres vers de « grandes œuvres ».


Il nous donnera enfin la grande leçon de ce qui fait le véritable chef, « le caractère », et qui exige le plus difficile des courages, celui de l'esprit. C'est le grand honneur de cette École d'avoir à former de tels chefs.


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Visite de la salle d'honneur de l'ESG en 1979 (Photo ESG)


Présentation de la salle d'honneur rénovée, le 8 mai 1979, par le lieutenant-colonel André COUSINE, chef du cours d'histoire

Lors de l’inauguration de la salle d'honneur rénovée, le 8 mai 1979, le lieutenant-colonel André Cousine, chef du cours d'histoire, chargé de cette opération, la présente ainsi  :

 

« Mesdames les maréchales, Monsieur le grand chancelier de l'ordre national de la Légion d'honneur, Mon général, Mesdames, Messieurs.

 

La rénovation de la salle d'honneur de l'École supérieure de guerre relève essentiellement de cinq dominantes :

 

Première dominante : Cette salle inaugurée le 11 novembre 1960 en présence du maréchal Juin porte toujours le nom de salle Foch, c'est-à-dire du nom de Ferdinand Foch, stagiaire de la 11e promotion de l'École supérieure de guerre, professeur de tactique générale et d'histoire militaire dans les années 1890, commandant l'École supérieure de guerre de 1908 à 1911, commandant les armées alliées en 1918, maréchal de France, de Grande-Bretagne et de Pologne.

 

Désormais le portrait du maréchal Foch, placé en position centrale, accueillera dès l'entrée dans la salle d'honneur les personnalités et les visiteurs français et étrangers.

 

Deuxième dominante : L'organisation de la salle privilégie également deux personnalités fort différentes de notre Histoire nationale :

 

- Le roi Louis XV, créateur de l'École royale militaire par l'édit de fondation du 13 janvier 1751 ;

- Le général Lewal, « père spirituel » de la rénovation de l'enseignement militaire français après le désastre de 1870.

 

Troisième dominante : Sur la directive du général Arnaud de Folard, directeur de l'enseignement militaire supérieur de l'armée de Terre et commandant l'École supérieure de guerre, cette salle d'honneur est organisée selon une ordonnance pédagogique très précise, se référant aux thèmes ci-après :

 

- Les XVIIe et XVIlle siècles, avec une place de choix offerte au comte de Guibert, le synthétiseur le plus lucide et le plus pénétrant de la pensée militaire française avant la révolution de 1789 ;

-  Les débuts de l'enseignement militaire supérieur, c'est-à-dire :

 

- la création de l'École royale militaire avec les souvenirs de sa protectrice, Mme de Pompadour, son architecte, Jacques Ange Gabriel et ses premiers élèves cadets-gentilshommes, Louis Davout et le jeune Bonaparte ;

- les débuts des premiers états-majors modernes, avec le lieutenant général de Bourcet ;

- le praticien de l'Art de la guerre, l'empereur Napoléon 1er ;

- le corps d'état-major, dont un des élèves les plus prestigieux demeure le jeune sous-lieutenant Hubert Lyautey ;

- l'École supérieure de guerre. Elle est créée en 1876 sous le nom de « Cours militaires spéciaux » qui deviennent de par la volonté du législateur, le 20 mars 1880, l'École supérieure de guerre ;

- la Grande Guerre 1914-1918, avec le souvenir des élèves de l'École supérieure de guerre, maréchaux de France, commandant d'armées et de groupes d'armées ;

- la Seconde Guerre mondiale ;

- l'École supérieure de guerre aujourd'hui.

 

Quatrième dominante : Cette salle privilégie surtout le souvenir des maréchaux de France de la Seconde Guerre mondiale :

 

- Le maréchal Alphonse juin, stagiaire de la 41e promotion de l'École supérieure de guerre (1919-1921) ;

- Le maréchal jean de Lattre de Tassigny, stagiaire de la 49e promotion (1927-1929) ;

- Le maréchal Philippe Leclerc de Hautecloque, stagiaire de la 60e promotion (1938-1939).

 

Ils sont, ici, à l'honneur avec leurs directives, leurs ordres opérationnels, leurs souvenirs et leurs notes de stagiaire.

 

Cinquième dominante, enfin : L'École supérieure de guerre s'enorgueillit d'avoir compté parmi ses élèves le stagiaire Charles de Gaulle, de la 44e promotion (1922-1924), chef de guerre et chef d'État.

 

Il occupe justement dans cette salle une position de choix.

 

Pour terminer, je rappellerai une citation du général de Gaulle : « La politique de la France doit reposer sur de vastes desseins et de vastes entreprises. Bien entendu elle est liée aux hommes et aux moyens. »

 

Plus modestement, le conservateur de la salle d'honneur de l'École supérieure de guerre précise que la politique à suivre pour cette salle repose surtout sur les moyens, c'est-à-dire sur le recueil des souvenirs des anciens stagiaires de l'École supérieure de guerre, notamment pour ceux des promotions instruites après la Seconde Guerre mondiale.

 

Ces souvenirs procèdent incontestablement du patrimoine et de la grandeur du Pays. »

 

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Visite de la salle d'honneur de l'ESG en 1979 (Photo ESG)

 

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