L'ÉCOLE SUPÉRIEURE DE GUERRE DE 1876 À 1914


L'institution de l'École supérieure de guerre fut l'aboutissement de multiples études et, de débats parfois passionnés qui suivirent la défaite de 1870.

Sa création, laborieuse, fut précédée d'une assez longue période de tâtonnements et d'hésitations, due surtout au fait qu'il existait depuis 1818 un corps spécialisé d'officiers d'état-major. 

Les tentatives de réforme

Jusqu'à la fin du premier Empire, mise à part la brève expérience d'un Cours supérieur de guerre conduite par le lieutenant-général de Bourcet peu avant la Révolution, les officiers d'état-major apprennent en quelque sorte leur métier sur les champs de bataille. Au retour de la paix, et sur l'initiative du maréchal de Gouvion-Saint-Cyr, assisté du général-baron Thiébault, sont créés le 6 mai 1818 un corps d'état-major permanent et une école de formation, l'Ecole d'application d'état-major, localisée à l'hôtel de Sens, rue de Grenelle à Paris. Cette école reçoit et instruit pendant deux ans des sous-lieutenants volontaires, issus de Saint-Cyr et de Polytechnique ; leurs deux ans accomplis, ils effectuent des stages de courte durée dans chacune des armes et sont ensuite affectés définitivement au corps d'état-major.

 

L'Ecole d'application d'état-major.

Ce système, dit du « corps fermé », présentait de grands inconvénients car jusqu'au grade de général, les officiers d'état-major perdaient tout contact avec la troupe tandis que les officiers généraux issus en majorité des armes ne recevaient aucune formation d'état-major. Replié sur lui-même et figé, ce corps d'état-major suscitait la jalousie des officiers de troupe, inspirait de la méfiance aux différents échelons du commandement et faisait ouvertement l'objet de critiques acerbes et multiples, avant même la défaite de 1870.

 

Celle-ci révèle l'insuffisance et l'inadéquation de l'enseignement reçu. L'école d'application d'état-major dispensait surtout une formation théorique qui n'était accompagnée d'aucun exercice pratique sur la carte ou sur le terrain. D'une façon générale, s'ils étaient de bons rédacteurs, les officiers d'état-major manquaient tout à fait de préparation pour les fonctions d'organisation et de conduite opérationnelle des troupes, fonctions pourtant absolument indispensables aux armées modernes. Le système même du « corps fermé » est alors presque unanimement condamné. II apparaît en effet nécessaire de remettre les officiers d'état-major en contact avec la troupe. Le vainqueur allemand sélectionne depuis longtemps ses officiers d'état-major parmi les meilleurs de ses officiers de troupe ; pourquoi ne pas prendre comme modèle l'organisation de ses états-majors qui semble avoir été un des facteurs essentiels de son succès ? Pourtant, comme on pouvait s'y attendre, la réforme souhaitée ne se fera pas sans rencontrer une certaine opposition du corps d'état-major lui-même.

 

 

Le général Pourcet, président de la commission d'études.

 

Le 5 février 1872, sous la présidence du général Pourcet, une commission de douze officiers généraux, tous issus du corps d'état-major, est chargée d'étudier et de préparer un projet de réorganisation. Ses conclusions préconisent le maintien du corps fermé tout en admettant la nécessité d'un recrutement plus large et d'une sélection de qualité. La timidité de cette proposition démontrait que la commission n'avait pas su se dégager de la routine et de l'esprit de corps.


Toutefois, quelques membres présentent un projet beaucoup plus hardi selon lequel le corps d'état-major de 1818 devrait être supprimé et remplacé par un «service d'état-major», composé d'officiers de toutes armes, recrutés par concours à partir du grade de capitaine. L'école d'application d'état-major serait transformée en une École Supérieure de la Guerre destinée à former non seulement des officiers d'état-major, mais aussi à dispenser à un plus grand nombre d'officiers un enseignement militaire supérieur qu'ils iraient par la suite diffuser dans les corps de troupe. Ces propositions d'une minorité resteront sans effet jusqu'à ce que le général de Cissey, ministre de la Guerre, décide de s'en inspirer pour prendre des mesures transitoires en attendant le vote d'une loi sur le service d'état-major.

 

 

Le général Courtot de Cissey, ministre de la Guerre.

 

 

Les cours militaires spéciaux

Le 26 janvier 1876, le général de Cissey convoque ses collaborateurs, en particulier le général Castelnau, et leur annonce qu'il est décidé à créer sinon une école, du moins des cours d'enseignement supérieur d'une durée de deux ans destinés à «préparer des officiers soit aux fonctions d'état-major, soit à l'exercice du commandement».

 

En quelques semaines le général Castelnau rédige un projet de décret portant création de «cours militaires spéciaux» complété par une circulaire définissant les conditions d'admission. II fixe en outre la nature des épreuves écrites et orales du concours d'entrée. Le 18 février 1876, le décret qui marque l'acte de naissance de ce qui deviendra l'École supérieure de guerre est signé. Un mois plus tard, le 14 mars, les épreuves du concours sont terminées. Sur 324 demandes. 290 officiers sont autorisés à se présenter et finalement 72 sont admis.

 

 

Le général Castelnau, président de la commission chargée de préparer l'institution de l'École supérieure de guerre.

 

Dès le 15 mai 1876, les nouveaux stagiaires s'installent aux Invalides sous les ordres du général Gandil qui commande également l'ancienne École d'état-major.

 

Transformés par décret en « École militaire supérieure » sous les ordres du général Lewal, ces Cours militaires spéciaux deviendront finalement « l'École supérieure de guerre » par la loi sur le service d’état-major votée le 20 mars 1880. Désormais les officiers du nouveau service d'état-major seront recrutés dans toutes les, armes, au grade de lieutenant et de capitaine et seront titulaires d'un brevet d'état-major obtenu à l'issue de deux années d'enseignement militaire supérieur.

 

La réorganisation de 1880 entérinait les dispositions, provisoires des quatre années précédentes et consacrait l'existence officielle de l'École. Au mois de juillet 1880, l'École supérieure de guerre  s'installait à l'École militaire.

 

II avait fallu huit années de discussions, d'études et d'expériences pour que le projet présenté par la minorité de la commission de 1872 aboutisse et que l'enseignement militaire supérieur prenne le nom et occupe les lieux qui sont encore les siens aujourd'hui. Mais dès 1876, le recrutement ouvert remplace le corps fermé, le nouveau rythme est pris et les promotions vont se succéder jusqu'à nos jours à l'exception des années de guerre. Il est donc légitime de fixer la naissance de l'École supérieure de guerre, même si elle n'a pas encore cette dénomination, à la date du 15 mai 1876, c'est-à-dire avec la première promotion des Cours militaires spéciaux.


L'enseignement et son évolution

De sa création en 1876 jusqu'en 1914, l'École supérieure de guerre est le lieu d'une intense activité intellectuelle sous l'impulsion de maîtres incontestés. En 1876, au moment de la création des Cours militaires spéciaux, l'enseignement militaire supérieur est pratiquement inexistant et la pensée militaire indigente. Le général Lewal pourra affirmer, non sans raison, que les causes de notre défaite ont été d'ordre intellectuel. Peu à peu, tirant les leçons de la guerre de 1870-1871 et analysant la pensée et l'action des grands chefs de guerre du siècle, l'École formera et marquera intellectuellement des générations d'officiers. Ceux-ci, à leur tour, dans les garnisons, répandront les idées nouvelles mais aussi redonneront aux cadres de l'armée le goût de l'étude. Par là même, malgré certains retards dans la leçon des faits et parfois des excès ou des erreurs de doctrine, l'École de Guerre, dit Charles de Gaulle «dotera le commandement d'auxiliaires rompus à leur tâche et favorisera chez les grands chefs cette formation supérieure sans laquelle on n'embrasse point les hautes parties de l'art ».

 

En créant les Cours militaires spéciaux on avait répondu au désir général mais vague de répandre dans l'armée les « hautes études militaires » et de préparer de nombreux officiers aux grands commandements. Les difficultés commencèrent lorsqu'il fallut préciser les différentes matières, leur poids respectif et trouver des méthodes et des professeurs ; aussi n'est-il pas étonnant de voir les débuts de l'École marqués par une période, d'ailleurs féconde, d'essais et de mises au point qui va durer dix ans. Conscient du problème, le général Castelnau avait au départ désigné les matières des cours, choisi les professeurs parmi «les officiers les plus distingués et les plus instruits» et leur avait laissé beaucoup de latitude pour chercher la voie la meilleure.

 

 

De Lewal à Bonnal (1876-1897).

 

Dès sa prise de commandement en 1877, le général Lewal s'attache à mettre sur pied l'enseignement de l'École qui s'était tout d'abord largement inspiré de celui de l'ancienne École d'état-major. Sans supprimer l'enseignement théorique, il organise les études de façon à donner la première place à la tactique des armes et à la tactique générale. Mais il ne suffit pas d'adopter de nouvelles orientations pour l'enseignement ; encore faut-il définir une méthode d'étude. Le général Lewal pense que tout enseignement doit comprendre une partie théorique appuyée sur des exemples tirés des dernières guerres, et une partie pratique. « Chaque leçon, dit-il, comprendra un seul objet, un problème de guerre et le traitera à fond ». Enfin il impose aux professeurs, qui jusqu'alors avaient enseigné isolément dans leur branche, la concertation de leurs activités.

 

 

Le général Lewal.

 

Le général Lewal ne verra pas le plein épanouissement de ses idées. C'est seulement à partir de 1882 avec l'arrivée au cours d'infanterie du chef de bataillon Maillard que celles-ci s'appliqueront réellement.

 

Maillard, doué d'une personnalité marquante, dépasse rapidement l'objet de son cours. S'inspirant de ses prédécesseurs et des méthodes allemandes, il tire les enseignements de la guerre de 1870 ; il étudie la bataille de Saint-Privat, où il met en évidence l'importance du facteur moral. Ce principe établi, il en déduit que pour agir sur l'ennemi, il faut le surprendre par la concentration des efforts, l'action massive de l'artillerie et la mise en œuvre de la cavalerie, arme du choc et de la poursuite.

 

 

Le chef de bataillon Maillard.

 

II en tire une doctrine tactique : l'usure lente et progressive de l'ennemi sur tous les points du champ de bataille, liée à une économie des forces en divers endroits pour les concentrer sur un autre, provoquant ainsi une rupture d'équilibre.

 

Son cours, divisé en deux parties, comporte l'étude de l'infanterie dans toutes les situations, puis l'examen des éléments de la guerre où il analyse les marches, le stationnement, la sûreté, le combat, le terrain. Pour cette dernière partie, il se sert de la « méthode positive» qui consiste, en partant d'un fait de guerre isolé de son cadre historique, à étudier la marche des opérations avec les moyens modernes dont on dispose.

 

Cet enseignement théorique est complété par des exercices sur le terrain particulièrement lors des voyages du semestre d'été puis à partir de 1889 par des exercices à double action sur la carte.

 

Peu à peu, le cours de Maillard devient le cours principal de l'École autour duquel les autres études s'articulent. II crée ainsi l'unité souhaitée par le général Lewal et pose également les premières fondations d'une doctrine tactique qui faisait alors cruellement défaut.

 

Le chef de bataillon Bonnal, affecté à l'École en 1887, compléta l'apport de Maillard. Chef du cours de tactique générale et d'histoire militaire à partir de 1892, il base son enseignement sur l'étude de la bataille de Frœschwiller, synthèse, selon lui, des tactiques d'armes et il en tire des idées générales applicables à l'ensemble des circonstances. Parallèlement il aborde la stratégie par le biais de l'étude des campagnes napoléoniennes, mais en se préoccupant moins de l'exécution que de la conception.

 

 

Le chef de bataillon Bonnal.

 

Dans son cours, il s'attache à remettre en honneur les principes appliqués par Napoléon Ier. Il en retient trois essentiels : la liberté d'action, la faculté d'imposer sa volonté à l'ennemi, l'économie des forces. II croit en outre déceler chez Napoléon un système, celui de l'avant-garde, qui lui aurait permis de satisfaire dans tous les cas à ces principes. Bonnal estime que ce système est toujours valable et il l'applique au niveau de la stratégie opérationnelle telle qu'on peut l'envisager dans un conflit franco-allemand. Partant de l'hypothèse que l'Allemagne, en cas de guerre, aura l'initiative, il préconise une manœuvre défensive - offensive caractérisée par la retraite organisée d'une avant-garde de couverture masquant l'offensive du gros des forces.

 

L'influence de Bonnal, bien que discutée par la suite, est incontestable puisque ses idées se retrouvent dans le règlement provisoire de 1894 et qu'il participe à la rédaction des plans de guerre.

 

Avec Maillard et Bonnal, on peut affirmer que l'École de Guerre est devenue le lieu privilégié où s'élabore la doctrine de guerre française. Après le départ de Bonnal, l'enseignement de l'École, sans subir de modifications profondes dans ses méthodes, va évoluer en raison des progrès de l'armement, et des leçons qu'il convenait de tirer des conflits contemporains.

 

 

De Foch à Pétain (1897-1914).

 

En effet, dès 1897, deux, guerres, celles du Transvaal et de Mandchourie, mettent en relief des facteurs nouveaux d'ordre technique. Les esprits s'échauffent, mais la majorité est d'avis que si les procédés doivent être modifiés, les principes dégagés antérieurement demeurent valables. C'est aussi la période de la mutation de notre règlement de manœuvre qui aboutira à la doctrine de «l'offensive à outrance». Bien entendu, l'École prend ces règlements comme base de son enseignement. II y a donc à la fois application d'une doctrine officielle et un débat intellectuel permanent autour des évolutions possibles, ce qui est un fait nouveau par rapport à la période précédente.

 

Le colonel Foch succède au colonel Bonnal en 1897 à la chaire de stratégie et de tactique générale; il y reste jusqu'en 1900. Comme ses prédécesseurs, il estime que la bonne méthode pour assurer le développement de l'esprit et du caractère, est de faire de l'histoire la base de ses leçons. Napoléon et Moltke sont les deux hommes de guerre dont il s'efforce de saisir la pensée et d'analyser les actes, ce qui l'amène à aborder la philosophie de la guerre dans son enseignement. Dans des cours devenus célèbres, il montre les transformations de la guerre qui met en œuvre non plus des armées de métier mais des nations armées. Malgré tout, il conserve la notion d'avant-garde chère à Bonnal et il recherche la décision dans la bataille soit par une attaque, soit par une contre-attaque massive.

 

II apprend surtout aux stagiaires à acquérir des réflexes adaptés à des situations diverses qui, sur le champ de bataille, leur seront comme une seconde nature. Par son ardeur et sa conviction, il emporte l'adhésion des promotions qui lui sont confiées.

 

A partir de 1901, le cours de tactique générale et d'histoire militaire s'oriente vers l'étude de la stratégie pure, puis bientôt l'intérêt se porte sur les cours d'infanterie avec trois professeurs que l'on appellera «la pléiade» : les colonels de Maud'huy, Pétain et Debeney.


 

La « Pléïade » : Les colonels de Maud’huy, Pétain et Débeney.

 

Le colonel de Maud'huy étudie l'homme, le fantassin surtout. Dans son cours, il décrit l'infanterie aux prises avec la peur et la fatigue, et à travers des exemples historiques il dégage également l'importance du terrain pour cette arme, enfin il complète ses cours par des exercices sur la carte en salle de groupe.

 

Le colonel Pétain, lui, se consacre plus spécialement aux règlements d'infanterie et s'efforce de déterminer s'ils sont restés fidèles aux grands principes de la guerre. II montre en particulier la puissance meurtrière du feu et la nécessité d'utiliser au maximum le terrain.


Quant au colonel Débeney il recherche dans l'étude des guerres contemporaines l'application des principes établis par ses prédécesseurs. Dans le même esprit, le colonel Fayolle précise le rôle d'une artillerie puissante en appui de l'infanterie.

 

C'est à cette époque que le général Foch, commandant l'École de 1908 à 1911, envisage de créer une troisième année d'enseignement car il estime qu'étudier seulement la division et le corps d'armée est .insuffisant. En 1909, quinze officiers sélectionnés en deuxième année sont désignés pour suivre des cours qui porteront sur l'armée et le groupe d'armées, échelons stratégiques. Cette tentative, malgré des résultats remarquables, présentait l'inconvénient de nécessiter une sélection, d'où une levée de boucliers contre ceux que l'on appelait déjà les «élèves-maréchaux». Cette expérience ne fut pas poursuivie dans sa forme initiale, mais aboutit à la création le 21 octobre 1910 du Cours des hautes études militaires (CHEM).

 

Pendant cette période de trente-huit ans, l'École supérieure de guerre avait diffusé dans l'armée ses méthodes d'enseignement, formé des centaines d'officiers d'état-major, donné l'impulsion à la création d'une doctrine. Mais surtout, elle avait contribué, en préparant de nombreux officiers aux responsabilités du commandement, à renouveler la pensée militaire française. Selon le maréchal Foch, «dans son enseignement plus ou moins théorique, établi sur les leçons de l'histoire, l'École formait un esprit moyen usant des dons naturels et des connaissances acquises, à pouvoir rationnellement aborder les problèmes de la «grande guerre», les raisonner, les discuter, en avancer les solutions sur des bases solides ».


L'ambiance de l'École supérieure de guerre vue par les stagiaires

Jusqu'en 1914, l'armée est en communion étroite avec la nation ; l'ombre de Sedan demeure comme un symbole pesant sur les consciences. L'esprit de revanche est dans les cœurs, renforcé et alimenté par l'occupation de l'Alsace-Lorraine. Par une analyse technique rigoureuse des batailles de 1870-1871, les cadres et les stagiaires de l'École cherchent à tirer, ensemble, les leçons de la défaite et à étudier les méthodes qui ont permis à l'adversaire de vaincre. lls ont un désir évident de s'instruire car ils pressentent que les connaissances acquises serviront bientôt sur le terrain. L'armée, réorganisée par le service militaire à nouveau universel, est redevenue celle de la nation et c'est tout naturellement dans les campagnes victorieuses de la Révolution et du premier Empire qu'on tente de retrouver les principes de la guerre.

 

Dès 1876, l'École connaît un rythme de travail soutenu qui prolonge d'ailleurs la préparation longue et difficile du concours. Du lundi au samedi, le travail commence alternativement à 7 h 15 pour l'équitation, à 8 h 30 pour l'allemand, langue obligatoire. La matinée se poursuit jusqu'à 11 heures, en amphithéâtre où les stagiaires suivent des conférences prononcées soit par les professeurs de l'École soit par des personnalités civiles. L'après-midi est réservé aux travaux personnels en salle de groupe, aux visites (chemins de fer, poudreries, service de santé, télégraphie sans fil) et à des exercices tactiques à l'extérieur. Outre des travaux à faire le soir à domicile, sur la fortification, la topographie, la tactique, les interrogations écrites ou orales sont nombreuses.

 

On apprend alors aux officiers à réagir vite. Le général Wilson commandant l'École de guerre britannique de Camberley qui rendit visite au général Foch en décembre 1909 fut impressionné par la rapidité avec laquelle étaient conduites les études à l'École de Guerre. «Constamment, dit-il, les professeurs répétaient aux officiers «Vite ! Vite ! et Allez !» II introduisit cette technique à Camberley où l'on parla bientôt dès « opérations allez » du général Wilson.


Le général Wilson, commandant l'Ecole de guerre britannique à Camberley


Les cours de tactique générale et d'armes sont suivis avec la plus grande attention :

 

«Reportez-vous au temps où, assis sur les gradins de l'amphithéâtre, nous écoutions avec déférence les voix de ces rénovateurs. Quelles belles leçons ! Que de feu, que de conviction chez les professeurs! Que de ferveur chez les élèves !

 

«Le colonel Maillard, court, trapu, le cou dans les épaules, le col de sa tunique dégrafé pour parler plus aisément, et sa grosse tête aux traits rudes toute illuminée, nous retraçait d'une éloquence enflammée les mémorables journées de Rezonville et de Saint-Privat où il avait combattu et il en déduisait tout un cours de stratégie... Le colonel Bonnal nous parlait en apôtre des manœuvres-types de Napoléon, nous conduisant à travers l'Europe à la suite du. «Dieu de la guerre» pour imprimer en nous la notion de manœuvre. Le colonel Langlois, droit et mince dans son dolman d'artilleur, petite tête aux traits fins, ornée d'une moustache blonde, nous détaillait les rôles de l'artillerie dans l'avant-garde, le combat préparatoire, l'attaque décisive. Avec le professeur de tactique de cavalerie, quelles randonnées impressionnantes faites en imagination par monts et par vaux, raids à grande envergure où, avec des masses de 20 à 25 000 chevaux, on coupait les lignes de communication».

 

C'est avec le même enthousiasme que Messimy, ministre de la Guerre en 1914, parle de son passage à l'École. II raconte dans ses mémoires à propos de Foch :

 

«Il appuyait son enseignement sur l'étude non seulement stratégique et tactique mais psycho-physiologique des guerres antérieures. Il refaisait avec nous l’histoire de la guerre de 1870, en signalant les fautes commises ; il nous tenait haletants, en nous montrant comment, faute de caractère, faute de la volonté de vaincre, les généraux de Napoléon III avaient conduit nos armées à une série de défaites et de capitulations honteuses. Il n'est pas dans les traditions d'une école militaire, si élevée qu'elle soit dans la hiérarchie scolaire, d'applaudir des conférenciers. Combien de fois pourtant, après les leçons de Foch, n'avons-nous pas été tentés d'acclamer l'homme éloquent et convaincu qui démontrait comment la récente infortune de notre histoire aurait pu se muer en succès.»

 

 

Le général Foch.


Les autres cours, plus modestes, plus terre-à-terre, sont écoutés plus par devoir que par goût, en particulier le cours de fortification et principalement la partie concernant les fortifications de campagne. En revanche, l'après-midi, lorsqu'il y a un Kriegspiel, les heures passent rapidement sous l'œil attentif des professeurs et parfois des visiteurs de l'état-major général. Deux groupes d'officiers constituent chacun un parti dans une situation tactique donnée et bataillent l'un contre l'autre. L'arène est un carré de carte d'état-major à grande échelle et les bataillons, escadrons et batteries évoluent sous forme de petits cubes de plomb peints de rouge et de bleu. Partie d'échecs où les officiers se passionnent et où ils prennent l'habitude d'une application pratique de la doctrine dans les cas les plus divers.

 

II existe également de nombreuses activités sur le terrain, puisque en deux ans, 112 journées sont passées à l'extérieur. Les voyages ont lieu dans l'Est et le Sud-Est de la France. Sur place, les officiers étudient dans leur cadre les batailles passées mais aussi le récent système fortifié de Séré de Rivières. Ce sont alors de longues randonnées, par demi-promotion, à cheval ou à bicyclette. Le soir, on fait le point dans la salle du conseil municipal du village-étape et on prépare la journée du lendemain.


Voyage des Alpes 1911 - Un groupe d'élèves


Les séjours à l'extérieur se terminent par la participation aux grandes manœuvres annuelles. Au retour, alors que les officiers de première année partent en congé, ceux de deuxième année rejoignent l'École pour préparer l’examen final d'où ils sortent parfois exténués.

 

Le début du siècle voit évoluer l'ambiance. L'enthousiasme reste car l'enseignement de la « pléiade » est suivi avec passion, en particulier les cours du colonel Pétain. Cependant la doctrine commence à s'élaborer hors de l'École. A l'extérieur, l'opinion militaire s'enflamme pour ou contre les théories divergentes du général de Négrier et du général Langlois. L'École est influencée par ces querelles doctrinales mais il semble que la discussion libre qui avait été jusque là une des caractéristiques de l'École, ne soit plus encouragée.

 

En effet, à partir de 1910, la doctrine française de l'offensive à outrance est fixée et les critiques ne manquent pas contre son application sans nuance jusqu'aux plus petits échelons : l'efficacité sans cesse accrue de l'artillerie et des armes automatiques fait considérer par beaucoup cette doctrine comme trop rigide. II est toujours difficile dans ce domaine de faire la part de la nécessaire discipline intellectuelle et de la discussion féconde pour l'avenir. En tout cas, l'ambiance s'en ressentit.

 

Pour les stagiaires, la période s'était révélée extrêmement profitable. Avec leurs maîtres ils avaient tout d'abord redécouvert les Principes de la guerre, puis vu s'élaborer devant eux des doctrines.

 

Enfin, tout en appliquant les nouveaux règlements, ils avaient cependant discuté et médité plus que partout ailleurs sur les formes que prendrait un conflit futur. Au total cette ambiance s'était avérée excellente, marquée par le travail bien sûr, l'enthousiasme certainement, mais aussi par la détente et la joie de vivre dans une capitale qui était alors celle de la Belle Époque.


Un aperçu des épreuves d'admission en 1905 est présenté ici.


Un aperçu de la scolarité en 1905 est donné ici.