HISTOIRE DU CORPS D'ETAT-MAJOR .
Ce texte, tiré presque textuellement de l'État militaire du corps d'état-major pour 1878, a cependant reçu de nombreuses modifications.
Depuis l'application de la poudre aux machines de guerre, les armées se composent, en Europe, de quatre armes qui ont une instruction particulière appropriée à leur service.
La combinaison de ces quatre éléments, embrassant des rapports divers, des charges nouvelles ont été créées pour en tirer le meilleur parti possible dans toutes les circonstances. C'est ainsi que dans les armées françaises, on vit des aides de camp d'armée, des commissaires généraux d'armée, des sergents généraux de bataille, des maréchaux des logis d'armée, remplir près des commandants des fonctions dévolues maintenant aux officiers de l'état-major.
La difficulté de s'acquitter des devoirs de ces charges temporaires, sans étude spéciale, la nécessité de constituer à chaque entrée en campagne un état-major dont on n'obtenait de résultat satisfaisant qu'après plusieurs années d'apprentissage, déterminèrent, vers la fin du XVIIIe siècle, les principaux États de l'Europe à soumettre à des études spéciales les officiers qui devaient servir d'auxiliaires et d'agents au commandement.
La France ne songea que tard à se procurer les avantages de cette organisation, et celle que Louvois lui donna se maintint à peu près intacte jusqu'à la fin du XVIIIe siècle.
Depuis Louis XIV jusqu'à la Révolution, le service reposait tout entier sur les états-majors, et ceux-ci ont joué un rôle aussi grand que celui actuellement dévolu aux états-majors prussiens, ce qu'on ne s'explique bien qu'en étudiant à fond le mécanisme qui existait alors, avec les généraux du jour, etc.
La plupart des charges étant entre les mains de la noblesse, on avait été naturellement amené à adopter le système des offices dont les attributions se transmettaient avec plus ou moins d'altérations, par la tradition, à ceux qui devaient les occuper en temps de guerre ; il y avait dans chaque armée :
1° Un maréchal général des logis. Cet officier était chargé d'assembler les troupes, de pourvoir à leur subsistance de concert avec l'intendant, d'en dresser l'ordre de bataille, de rédiger les ordres du jour, d'ordonner les reconnaissances des marches et des camps, de dresser les ordres de mouvement, d'assigner le terrain des camps que devaient occuper l'infanterie et la cavalerie, de désigner l'emplacement du quartier général, de l'hôpital, du parc de l'artillerie et de celui des vivres, enfin de prendre toutes les mesures nécessaires pour l'exécution prompte et ponctuelle des ordres du commandant en chef.
Le maréchal général des logis avait deux aides maréchaux des logis pour l'aider dans l'accomplissement de ses devoirs, et il leur assignait les détails qu'ils devaient suivre selon l'aptitude qu'il leur reconnaissait ; il avait aussi la haute main sur les ingénieurs-géographes, le vaguemestre, le capitaine des guides et les fourriers-marqueurs.
2° Un major général de l'armée, ou major général de l'infanterie. On donnait cette double dénomination à cet officier, parce qu'il réglait et surveillait spécialement le service de l'infanterie, et qu'il était en outre chargé de la police de toute l'armée. Il était tenu d'accompagner le général commandant, de se rendre au campement avec le maréchal de camp de jour, de répartir à l'infanterie le terrain qui lui avait été désigné, d'en assembler et d'en placer les postes, gardes et piquets, de rédiger les consignes .et les instructions à donner aux gardes et détachements ; enfin de se concerter avec les majors de l'artillerie et du génie pour les opérations journalières des sièges.
Le major général était aussi tenu de surveiller l'exécution de tous les ordres concernant la police. C'est entre ses mains qu'on remettait l'état des tués, des blessés et des prisonniers c'est lui qui expédiait les ordres relatifs aux sauvegardes, aux déserteurs et aux prisonniers étrangers ; il était chargé, en outre, de l'inspection des hôpitaux et des ambulances, de régler tout ce qui était relatif au transport des bagages, enfin de réunir et de résumer tous les rapports concernant la police.
Pour lui faciliter l'exercice de fonctions si multipliées et si diverses, il avait deux aides-majors généraux et le prévôt ; ce dernier était spécialement chargé de la police et de la justice.
La division entre les services du maréchal général des logis et du major général était bien tranchée. Le premier avait l'ensemble des opérations militaires, le second la discipline et les détails. Ce système de division des attributions a disparu en France avec la création des adjudants généraux, tandis qu'il se conservait en Prusse et en Russie.
3° Un maréchal général des logis de la cavalerie, lequel remplissait pour cette arme les mêmes fonctions que le major général pour l'infanterie, à l'exception de ce qui concernait la police. Le maréchal général des logis de la cavalerie avait aussi deux aides maréchaux des logis.
On voit qu'il y avait de fait, dans cette constitution d'états-majors qui remonte à 1678, trois états-majors distincts dans chaque armée, non compris ceux de l'artillerie et du génie, qui ressortissaient, ainsi que l'intendance, au commandant en chef.
Ce partage des attributions de l'état-major en trois sections indépendantes et souvent rivales occasionnait trop de froissements pour qu'on n'ait pas senti, à différentes reprises, la nécessité de les réunir entre les mains d'un seul corps permanent ; des essais avaient été tentés en 1763, 1778 et 1783.
C'est à cette dernière date que fut constitué le premier corps d'état-major permanent, qui était composé de 69 officiers divisés en trois classes : aides-maréchaux généraux, officiers adjoints et les attachés à l'état-major. Par un décret du 5 octobre 1790, l'Assemblée nationale confia le service des états-majors aux adjudants généraux. Malheureusement, il résulte de l'étude des projets et des discussions qui précédèrent, que les questions de personnes intervinrent dans une trop large mesure. Espérant arriver plus vite, les très jeunes officiers, membres de l'Assemblée, firent adopter le concours et voulurent absorber les divers services, ceux du maréchal général des logis aussi bien que ceux du major général de l'infanterie et des états-majors particuliers des autres armes. Or, le nouveau service devenu trop chargé, les attributions les plus essentielles en furent souvent négligées, comme on n'avait pas manqué de le prédire. Il est vrai que la plupart des jeunes généraux de la République sortirent des adjudants généraux, mais ils ne tardèrent pas à être remplacés par une génération qui n'avait pas les mêmes talents, et qui, par conséquent, ne put rendre les mêmes services.
A l'origine, les adjudants généraux étaient au nombre de trente, dont dix-sept colonels et treize lieutenants-colonels ; leur avancement était réglé par une loi en dater du 16 novembre 1790, portant principalement qu'ils prendront rang dans leur arme avec les officiers du grade dont ils étaient pourvus comme adjudants généraux.
Une instruction ministérielle, du 1er juin 1791, les chargea provisoirement de toutes les reconnaissances militaires, de la direction des travaux topographiques, des opérations et des mémoires relatifs à la délimitation des frontières, des plans d'offensive et de défensive, du détail et de la transmission des ordres des généraux de division aux troupes, dans l'intérieur et sur le terrain, avec les explications que les circonstances pourraient rendre nécessaires, de l'inspection des postes et des logements, et de la direction des mouvements de troupes dans l'intérieur.
La même instruction fixa le nombre d'adjoints qui pouvaient être employés provisoirement auprès de chacun d'eux. Les adjudants généraux des divisions intérieures n'en avaient qu'un seul, ceux des divisions frontières, continentales ou maritimes, pouvaient en employer jusqu'à trois. Ceux-ci avaient en outre la faculté d'attacher à leur bureau un sous-officier de toutes les armes.
Bien que cette organisation fût incomplète, en ce qu'elle ne posait pas les conditions d'admission des officiers dans le corps des adjudants généraux, et ne ménageait pas les intérêts de l'avenir, en prescrivant les études auxquelles ils devaient se livrer, elle aurait certainement produit une amélioration sensible, s'il y avait eu assez d'officiers expérimentés pour le former. Malheureusement il n'en existait qu'une douzaine qui s'étaient instruits dans les camps de Vaussieux et de Saint-Omer, et à l'état-major du petit corps de troupes envoyé au secours des États-Unis d'Amérique. Bientôt après, l'émigration produisit des vides irréparables dans le cadre ; les emplois d'adjoints furent donnés à des hommes qui n'avaient pas les qualités voulues, en sorte que, dès le mois d'avril 1792, il fallut renoncer à l'idée de prendre les chefs d'état-major parmi les adjudants généraux, et le gouvernement se vit obligé de nommer des maréchaux de camp pour en remplir les fonctions.
Alors les adjudants généraux furent réduits à suivre les détails des branches que leur assignaient les chefs d'état-major généraux ou à remplir les fonctions de chefs d'état-major dans les divisions. Toutefois la faculté illimitée qui leur avait été laissée, de prendre à l'armée le nombre d'adjoints qui leur était nécessaire, ayant engendré des abus, le ministre fit rentrer, à la fin d'avril 1792, ces officiers à leur corps, se réservant de statuer sur les propositions qui lui seraient faites en faveur d'officiers qui, par leur instruction et leurs talents, paraîtraient propres à aider les adjudants généraux dans l'accomplissement de leurs pénibles devoirs.
La guerre qui s'alluma trouva donc l'état-major composé d'officiers actifs et intelligents, mais sans expérience et sans instruction spéciale. Aussi les campagnes de 1792 et 1793 furent-elles marquées par des désordres et une confusion qui faillirent nous être plus d'une fois funestes. Ce n'est qu'à la fin de 1793, que ce service, ayant recruté les Miollis, les Saint-Hilaire, les Reynier, les Saint-Cyr et quantité d'autres officiers instruits, fut à la hauteur de ses fonctions, et fut d'un véritable secours au commandement.
La loi du 3 avril 1795 régla tout ce qui avait rapport à l'avancement des officiers qui se vouaient à cette carrière. Les chefs d'état-major généraux étaient choisis par le gouvernement parmi tous les généraux de brigade, et de préférence parmi ceux qui avaient été employés comme adjudant, généraux. La nomination des adjudants généraux était faite par le conseil exécutif, sur une liste de trois candidats, votée à la majorité absolue, par tous les généraux et chefs de brigade de la division où l'emploi était vacant, sous la présidence du général de cette division ; les candidats devaient avoir au moins six mois de grade de chef de bataillon ou d'escadron. Lorsqu'un officier avait été présenté deux fois sans être nommé, l'emploi lui appartenait de droit à la troisième présentation.
Les adjoints étaient choisis, sauf l'approbation du chef de l'état-major général, par les adjudants généraux chefs de brigade, parmi les lieutenants de toutes armes; ces officiers conservaient leur rang d'ancienneté dans le corps dont ils sortaient, mais obtenaient le grade de lieutenant après un an d'exercice, celui de capitaine au bout de dix-huit mois de service comme lieutenant, et devenaient susceptibles de passer chefs de bataillon après deux ans de grade de capitaine, sur la présentation du conseil exécutif.
Ce fut sous l'empire de cette législation que les officiers d'état-major traversèrent les sept premières campagnes de la Révolution, c'est-à-dire sans organisation spéciale et régulière et sans service nettement défini, situation assez grave pour obliger le général Berthier, en Italie, à faire paraître, le 31 janvier 1796, des instructions sur le service provisoire de l'état-major et des adjudants généraux. Leur nombre s'était plus que doublé, vainement, pour arrêter cet accroissement qui dépassait les besoins, le ministre avait assujetti, en mai 1798 les officiers choisis pour adjoints ou pour aides de camp, à faire la demande de lettres de service ; cette mesure n'atteignit pas son but. Quinze mois plus tard, une loi de finance, du 9 septembre 1799 réduisit l'effectif des adjudants généraux à cent dix, et plaça leurs adjoints pour la première fois dans la même catégorie que les aides de camp. Ils formaient ensemble un total de cinq cent vingt officiers, dont six chefs de brigade, trente chefs de bataillon, trois cent quatre-vingt-deux capitaines, et cent deux lieutenants.
Bonaparte, en saisissant les rênes du gouvernement, voulut réorganiser l'état-major. Il le transforma donc, par arrêté du 16 juillet 1800 en un corps d'adjudants commandants.
Cette transformation avait surtout pour but de prévenir les inconvénients résultant du mode de recrutement des officiers d'état-major qui, suivant lui, avait pour effet d'appauvrir les corps en leur enlevant les meilleurs sujets et de priver plus tard d'avancement ces corps en leur rendant ces officiers avec un grade supérieur. Plus tard, un arrêté des consuls, du 8 octobre 1800, porte que les adjoints ne seront plus spécialement attachés aux adjudants généraux, et prendront le titre d'adjoints à l'état-major général, qu'Us seront attachés aux corps d'infanterie et de cavalerie, sans qu'il puisse y en avoir plus de deux dans chaque corps, et qu'à la dissolution de l'armée dont ils feraient partie, ils seraient à la suite de leurs corps, jusqu'à la première vacance. Le même arrêté accordait aux généraux de division trois aides de camp, dont un chef de bataillon ou d'escadron, et deux capitaines ou lieutenants, et aux généraux de brigade deux capitaines ou lieutenants. Il reconnaissait à ces officiers le droit aux emplois vacants à la nomination du gouvernement dans les corps dont ils sortaient, lorsqu'ils ne seraient plus employés en qualité d'aides de camp.
Un arrêté du 5 novembre 1800 fixe le nombre des adjoints à trois cents, et prescrit de les choisir parmi les capitaines ayant servi dans ce grade au moins un an dans les corps de la ligne. Ces officiers ne pouvaient, ainsi que les aides de camp, être nommés chefs de bataillon ou d'escadron qu'après deux ans de service à l'état-major.
Cependant, ce corps d'état-major ainsi constitué, n'offrant pas au premier consul toutes les ressources qu'il désirait et qu'il ne pouvait exiger de ceux qu'on y admettait sans examen, toutes les parties de son service qui demandaient quelques connaissances spéciales, passèrent, par la force des choses, au corps du génie, et le corps des adjoints ne renfermant pas une assez grande quantité d'officiers capables, on put sans inconvénient en réduire le nombre d'un tiers.
L'arrêté du 10 octobre 1801, et plus tard les arrêtés du 12 octobre 1802 et du 24 septembre 1803 donnèrent à l'état-major les cadres suivants :
Adjudants-commandants |
120 |
||
Adjoints aux
états-majors (capitaines) |
200 |
||
Aides de camp |
Chefs d'escadron |
120 |
840 |
Capitaines |
360 |
||
Lieutenants |
360 |
||
Total |
1160 |
HISTOIRE DU CORPS D'ETAT-MAJOR ..
L’organisation du service
des états-majors sous l’Empire, due aux généraux Berthier et Mathieu Dumas,
date de 1803 et reposait sur les bases suivantes, destinées à séparer
l'ensemble des opérations militaires de tous les détails absorbants ; à savoir :
- 1 major général,
remplissant à peu près les fonctions de l'ancien maréchal des logis de l'armée
et ayant auprès de lui :
3
généraux de brigade,
3
adjudants commandants,
11
officiers supérieurs,
13
adjoints ou aides de camp.
- 3 aides-majors généraux
chargés : le premier, des effectifs, de la solde, des malades, de l'habillement,
et généralement des questions de commandement .et d'avancement et des renseignements
sur les positions de l'ennemi ; le second, des camps, marches et cantonnements
avec le titre de maréchal des logis de l’armée ; le troisième était directeur
du dépôt, chef du service topographique et chargé de l'historique des
opérations militaires.
Chacun de ces 3
aides-majors généraux avait auprès de lui : le premier, 4 adjudants
commandants et 12 adjoints ; le second, adjudant commandant et 4 adjoints
; le troisième, 2 adjudants-commandants et 1 section d'ingénieurs-géographes.
Dans chaque corps d'armée,
le général chef d'état-major général était secondé par 2 ou 3 adjudants
commandants, entre lesquels il répartissait le service.
Depuis cette époque, deux
corps, dont un de deux grades sans contact, formaient l'organisation légale de
l'état-major ; mais la force des choses obligea d'employer des officiers de
tout grade à la suite de l'état-major, et le complet ne tarda pas à être
dépassé, tant par la création des généraux aides de camp et des maréchaux que
par l'accroissement progressif des armées. En 1806, on comptait déjà cent
trente-deux adjudant-commandants, et plus de mille adjoints et aides de camp de
tous grades ; en 1812, le nombre des premiers fut porté à cent
cinquante-deux, et celui des seconds à plus de quatorze cents. En 1812, le
nombre des adjudants-commandants s'élevait à cent quatre-vingt-dix, et il
arriva jusqu'à deux cent vingt-huit en 1814. Aux mêmes époques, le total des
adjoints et des aides de camp dépassait quinze cents.
Cependant, dès 1809, la
carrière de l'état-major proprement dite fut désertée par tous les officiers
qui, poussés par l'ambition ou se sentant la capacité nécessaire, avaient la
prétention d'arriver aux premiers grades de l'armée. Ils rentrèrent dans la
ligne, ou s'attachèrent aux généraux en crédit en qualité d'aides de camp. Vers
le déclin de l'Empire, le service à l'état-major était très-décrié, et l'armée
était loin de le regarder comme le foyer où se développaient les conceptions du
général en chef. Il s'était réduit peu à peu à celui des bureaux.
Si l'on considère les
grandes lignes de service sous l'Empire, on trouve que l'Empereur est, en
réalité, son propre chef d'état-major, que Berthier n'est que son premier aide
de camp, d'où une tradition fausse dont l'influence règne encore pendant de
longues années, après avoir fait sentir ses effets dans la période qui précéda
1815.
Un semblable état de
choses était très fâcheux. Longtemps avant la chute de Napoléon, des officiers
généraux distingués par leurs lumières et leur expérience, avaient appelé son
attention sur la nécessité de remédier au mal ; mais les tristes événements
qui marquèrent ses dernières campagnes ne lui permirent pas de s'occuper de la
réorganisation de l'état-major.
*
* *
Cette tâche était réservée
au maréchal Gouvion Saint-Cyr, qui se trouva placé en 1818 dans des
circonstances plus favorables. Il posa en principe que l'officier d'état-major,
quelle que fût la nature de son service, appartenait au commandement et non à
la personne qui en était revêtue, qu'il devait offrir, par une instruction
appropriée à son service, des garanties au gouvernement, qui lui assurerait en
retour une carrière égale à celle qu'on obtient dans les autres armes
spéciales. Indépendamment de ces considérations fondamentales, il y avait
encore d'autres conditions à remplir : il fallait baser l'organisation du
corps à créer, sur les besoins éventuels du service, calculés d'après le cadre
de l'état-major général et la force de l'armée, en temps de paix et en temps de
guerre, combiner la proportion des différents grades, de manière à répondre à
la fois à la marche graduelle et lente de l'instruction, aux besoins du service
et à l'avancement raisonnable des officiers. Il fut donc arrêté, pour remplir
ces conditions, que les maréchaux auraient, en temps de guerre, un colonel ou
un lieutenant-colonel, un chef de bataillon, deux capitaines et deux
lieutenants pour aides de camp, et que, sur le pied de paix, ils en auraient seulement
quatre, dont deux officiers supérieurs. Les lieutenants généraux devaient
avoir, en campagne, trois aides de camp, dont un chef de bataillon, un
capitaine et un lieutenant, et deux seulement en temps de paix. Les maréchaux
de camp, deux aides de camp, capitaine et lieutenant, en temps de guerre, et un
seulement en temps de paix.
On décida, en outre, que
le corps devait être assez nombreux pour pourvoir aux besoins d'une armée de
trois cent mille hommes, formant trente divisions d'infanterie ou de cavalerie
en ligne, et six corps d'armée ; enfin, que les officiers d'état-major
existants, les aides de camp et les officiers de toutes armes, en activité ou
disponibles, concourraient à la formation du nouveau corps.
C’est d’après ces bases
qu’une ordonnance du 6 mai 1818 forma le corps royal
d’état-major de :
30
colonels,
30
lieutenants-colonels,
90
chefs de bataillon,
270
capitaines,
125
lieutenants.
Total
: 545 officiers titulaires.
Plus 100 aides-majors,
sous-lieutenants ou lieutenants, susceptibles d'être appelés à l'état-major en
temps de guerre, et un nombre d'élèves sous-lieutenants déterminé chaque année
par les besoins du service.
La même ordonnance affecta
huit lieutenants généraux et seize maréchaux de camp au corps d'état-major,
pour remplir les emplois de chefs d'état-major généraux et d'aides-majors
généraux aux armées et dans l'intérieur.
L'ordonnance rendue, il
s'agissait de remplir le cadre, et ce n'était pas une opération facile après le
bouleversement qui venait d'avoir lieu, car on possède des documents qui
révèlent à la fois la pensée intime du maréchal Gouvion Saint-Cyr, en
organisant le corps et les difficultés que lui suscitaient les conditions
politiques du temps. Il existait alors soixante-treize colonels ou
lieutenants-colonels, cent vingt-quatre chefs de bataillon, deux cent
soixante-dix-huit capitaines et soixante-huit lieutenants, en tout cinq cent
quarante-trois officiers en activité, et plus du double à la demi-solde, sortant
de l'état-major de l'ancienne armée. Le ministre eût bien désiré mettre tous
les emplois supérieurs au concours mais comment assujettir des officiers d'un
grade élevé et d'un âge mûr à des examens ? Ils s'y seraient refusés, les
uns par fierté, les autres en invoquant les convenances. On fut donc d'autant
moins sévère, pour l'admission dans le corps d'état-major, que les candidats
avaient un grade plus élevé. On ne consulta que les états de service ou les
recommandations pour les colonels et les lieutenants-colonels : on fut
plus rigoureux pour les chefs de bataillon : on demanda des mémoires et
des dessins aux capitaines, et enfin on imposa, conformément à l'instruction
ministérielle du 30 juillet 1818, de véritables examens aux lieutenants et
sous-lieutenants qui aspirèrent au grade d'aide-major.
Une ordonnance du 27 mai
nomma les lieutenants généraux, les maréchaux de camp, les colonels et les
lieutenants-colonels. Les généraux, un seul excepté, furent pris parmi les
généraux de l'Empire qui avaient servi dans les états-majors ; mais comme
il s'était introduit parmi les colonels et les lieutenants-colonels par suite
de circonstances particulières à l'époque, beaucoup, d'officiers sans
illustration personnelle et sans services, l'ordonnance accorda une sorte de
satisfaction aux adjudants-commandants de l'armée impériale, en en désignant
trente pour concourir avec les lieutenants-colonels titulaires, au remplacement
des emplois de colonel qui viendraient à vaquer. Ainsi, dès l'origine, et
contrairement à l'ordonnance de création, le corps eut soixante colonels au
lieu de trente. Une ordonnance du 24 juin nomma quatre-vingt-huit chefs de
bataillon ; trois autres, des 12 et 23 décembre 1818 et 20 janvier 1819,
contiennent la désignation de deux cent soixante-dix capitaines ; enfin,
cent vingt-cinq lieutenants furent admis par deux ordonnances des 20 janvier et
10 février 1819, et 68 sous-lieutenants par celle du 20 janvier 1819.
Malgré les concessions
auxquelles le maréchal Saint-Cyr dut se résigner pour assurer le triomphe de
son idée fondamentale, l'organisation dont il est l'auteur ne fut pas seulement
avantageuse à l'armée, elle fut en même temps une œuvre pacifique utile à
l'État. Elle fut avantageuse à l'armée, car elle mit un terme à ces
sollicitations par suite desquelles des officiers, passant alternativement de
l'état-major dans les corps de troupes, enlevaient aux véritables officiers des
deux services l'avancement au choix, qui aurait dû leur être assuré par leur
spécialité. Elle fut utile à l'État, parce qu'elle lui assura les garanties
qu'il doit exiger de tous ses fonctionnaires ; enfin, elle mit un terme à
des exigences qui entraînaient le ministre de la guerre à remplir, sans
compter, un cadre sans limites. Cette ordonnance et la loi du recrutement
assignent au maréchal Saint-Cyr une place distinguée parmi les hommes
énergiques dont s'enorgueillit la France. Du reste, il comptait moins sur ce
que le corps était à sa formation, que sur ce qu'il serait dans l'avenir, par
ses études et ses services.
En effet, l'analyse des
éléments dont il se composa prouve qu'il renfermait une foule d'officiers
jeunes encore, mais déjà mûris par l'expérience des dernières campagnes, qui
devaient bientôt acquérir par l'étude à laquelle ils allaient être assujettis,
les connaissances théoriques qui leur manquaient, et servir de guides, en cas
de guerre, aux lieutenants et sous-lieutenants qui sortaient des écoles, et
n'avaient encore que l'instruction scientifique de leur état.
Le tableau ci-après donne l'origine de tous les officiers qui entrèrent dans le cadre du corps à sa formation.
Grades |
Nombre d’officiers
fournis par |
|||||||
L’ancien état-major |
Les aides de camp |
La maison du roi |
L’infanterie |
La cavalerie |
L’artillerie |
Le génie |
Total |
|
Colonels |
47 |
6 |
5 |
|
1 |
|
1 |
60 |
Lieutenants-colonels |
8 |
7 |
9 |
2 |
2 |
1 |
1 |
30 |
Chefs de bataillons |
37 |
43 |
|
4 |
4 |
|
|
88 |
Capitaines |
52 |
127 |
3 |
58 |
21 |
6 |
3 |
270 |
Lieutenants |
2 |
28 |
10 |
43 |
17 |
16 |
9 |
125 |
Sous-lieutenants |
|
|
9 |
40 |
11 |
8 |
|
68 |
Totaux |
146 |
211 |
36 |
147 |
56 |
31 |
14 |
641 |
HISTOIRE DU CORPS D'ETAT-MAJOR ...
Le gouvernement n'attendit
pas que le corps fût au complet pour l'utiliser. Au fur et à mesure que les
cadres se remplirent, une partie des officiers qui y étaient compris reçurent
des lettres de service, soit au dépôt de la guerre, soit aux états-majors des
divisions territoriales, soit auprès des généraux en activité en qualité d'aide
de camp. Le reste demeurera disponible dans ses foyers.
Le roi, décidé à porter la
guerre en Espagne, éleva, par ordonnance du 12 février 1823, le nombre des
colonels titulaires à quarante, afin d'engager les colonels de remplacement à
solliciter de l'activité. Cette mesure produisit son effet, et cette campagne,
dans laquelle on n'employa pas moins de deux cent vingt-trois officiers de tous
grades, fournit l'occasion au corps d'état-major de faire ses premières
preuves.
Une ordonnance du 10 décembre
1826, rendue sous le ministère du marquis de Clermont-Tonnerre, fit rentrer
dans le cadre de l'état-major général de l'armée les officiers généraux qui
avaient été appelés par l'ordonnance de création à former la tête du corps elle
en réduisit les officiers titulaires à quatre cent cinquante, en augmentant le
cadre de dix chefs de bataillon et de vingt capitaines, et plaça, comme
aides-majors, quatre-vingt-quinze lieutenants dans les corps de la ligne.
Cette ordonnance stipula
que les emplois de capitaines titulaires seraient donnés au concours, dans
l'ordre de classement des travaux spéciaux, aux capitaines détachés dans la
ligne et aux lieutenants détachés dans la garde ; elle autorisait le ministre
à placer les officiers titulaires comme officiers de troupe dans les régiments
d'infanterie et de cavalerie, sans qu'ils pussent rentrer dans le corps
autrement que par permutation ; enfin elle contenait des dispositions
relatives à l'uniforme, qui devenait relativement fort coûteux. La réforme de
1826, qui souleva de vives critiques, avait cependant été inspirée par les
intentions primitives du maréchal Gouvion Saint-Cyr, mais elle parut amener
aussi les abus que le maréchal avait le plus redoutés à l'origine : la
faculté de favoriser outre mesure certains officiers, la possibilité d'en
priver d'autres des avantages de rang et de, position acquis par ses études et
ses services. Cependant, malgré les critiques dont elle fut l'objet, elle dota
le corps d'état-major d'une institution qui lui manquait. L'ordonnance de
création n'avait fait aucune mention d'un comité, chargé de diriger vers un but
constant l'instruction et les opérations d'un corps disséminé, même en temps de
paix, dans toute la France, et d'en faire mouvoir les membres avec ensemble ;
cela ne se pouvait sans avoir un centre commun où l'on pût, sans assigner à
chacun sa tâche, et peser avec le même poids le mérite de tous. La première
démarche des officiers généraux placés à la tête du corps avait été de réclamer
la formation d'un comité semblable à ceux de l'artillerie et du génie, afin de
pouvoir imprimer aux travaux du corps la direction et l'impulsion convenables.
Après un an d'hésitation, le ministre Latour-Maubourg le leur accorda le 6 mars
1821 ; mais ce n'était qu'un comité provisoire. L'art. 16 de l'ordonnance
du 10 décembre, confirmant son existence, régla ses attributions, et voulut que
ses membres ainsi que son secrétaire fussent nommés, chaque année, par le roi,
sur la proposition du ministre de la guerre.
Ce comité, aux termes de
l'art. 27, était chargé :
1° De s'occuper de tout ce
qui est relatif au perfectionnement de l'instruction théorique et pratique des
officiers du corps
2° de déterminer les
travaux annuels qu'ils devaient exécuter, de les examiner et de les classer par
ordre de mérite ;
3° enfin, de donner son
avis sur tous les objets relatifs au service de l'état-major qui lui seraient
désignés par le ministre.
Le 29 décembre 1826, parut
le règlement qui fixa le service des aides-majors, et, le 25 avril suivant,
l'ordonnance qui assigna leur rang dans les corps de troupes.
Une décision du roi, du 4
février 1827, déclara que les sous-lieutenants d'état-major seraient promus au
grade de lieutenant le jour où ils auraient accompli leur quatrième année de
grade. Une autre décision, du 15 mars, régla les conditions d'avancement au
choix des capitaines titulaires et le mode d'admission et de classement de ces
officiers.
En 1828, le gouvernement
ayant résolu d'envoyer une expédition d'environ dix mille hommes en Morée,
seize officiers du corps furent désignés pour en faire partie.
Jusqu'à cette époque, on
n'avait alloué aux officiers d'état-major employés aux reconnaissances
militaires aucune indemnité quand ils se rendaient sur le terrain à lever. Ces
déplacements étant très dispendieux, le ministre, sur la proposition du comité,
leur accorda, le 30 septembre 1827, l'indemnité de route pour l'aller et le retour,
lorsque la distance à parcourir pour s'y rendre de leur domicile excéderait
cinq lieues de poste.
Une décision royale du 7 mai
1828, confirmative des dispositions de l'ordonnance du 26 janvier 1825, ordonna
que les emplois de chefs d'état-major, d'officiers d'état-major et d'aide de
camp aux colonies, seraient occupés par des officiers du corps d'état-major,
comme spécialement dévolus à leur service et quoiqu'une ordonnance du 21
décembre 1828 eût fait passer la direction, l'administration et la comptabilité
du service militaire des possessions d'outre-mer au département de la marine,
elle entendit que les officiers du corps d'état-major continueraient à y être
employés, sans cesser de lui appartenir.
De nouvelles conditions
pour l'avancement au grade de chef de bataillon et l'admission des capitaines
dans les cadres des titulaires furent imposées aux officiers par une
instruction ministérielle du 11 septembre 1829.
La capitale n'étant pas
classée au nombre des places de guerre, le ministre décida, le 9 janvier 1830,
que les officiers employés à l'état-major de Paris seraient replacés dans les
corps dont ils sortaient, et que le service de place serait confié à l'avenir
aux officiers du corps royal d'état-major.
Jusqu'alors, l'École de
Saint-Cyr avait alimenté celle d'application, les 25 premiers élèves sortants
étaient appelés à l'École d’application d'état-major, mais soit que
l'instruction qu'on recevait è Saint-Cyr ne fût pas suffisante, soit que le
classement fût fait sur des principes différents de ceux qui étaient en usage
dans la dernière, les élèves étaient trop faibles pour passer de suite aux
études d'application, ce qui obligeait les professeurs de l'École d'état-major
à revenir sur des cours élémentaires et retardait l'instruction spéciale.
Chaque année le conseil d'instruction de l'École d'application en avait fait
l'observation au comité qui, en transmettant ces plaintes au ministre, avait insisté
sur la nécessité de remédier à cet état de choses. Ce fut sur ces
représentations, réitérées et pressantes, qu'une décision ministérielle du 26
février 1830 non insérée au Journal militaire, prescrivit qu'à l'avenir un des
membres du comité d'état-major ferait partie du jury d'examen de l'École de
Saint-Cyr. Cette mesure eut les plus heureux résultats : par suite des
observations consignées depuis lors dans les rapports des divers jurys
d'examen, et particulièrement dans celui de 1833, le maréchal duc de Dalmatie
nomma, le 21 février 1834, une commission qui arrêta le système d'études de l'École
militaire, et le coordonna avec ceux de l'École d'application d'état-major et
de l'École de cavalerie.
Cependant, l'expédition
d'Alger s'était préparée : cinq colonels ou lieutenants-colonels, onze
chefs de bataillon et trente et un capitaines, non compris les officiers
détachés dans les corps, furent désignés pour en faire partie, soit à
l'état-major, soit en qualité d'aides de camp, et par suite des services qu'ils
rendirent, la constitution du corps semblait pour longtemps affermie.
Déjà, plusieurs fois, il
avait été question de réunir au corps d'état-major les ingénieurs-géographes.
Les jeunes officiers de de corps en témoignaient ouvertement le désir, et l'on
s'attendait à cette réunion d'un moment à l'autre, lorsque l'existence du corps
fut remise de nouveau en question. On se rappelle qu'à la suite de la
révolution de juillet, on craignit un instant de voir s'allumer une guerre
générale. La France était menacée d'une coalition plus formidable que celles
qui s'étaient nouées contre elle en 1793 et en 1813. On sentait l'urgence de
porter prochainement l'armée à six cent mille hommes ; cependant, ce fut à
cette époque que le corps d'état-major organisé par le maréchal Saint-Cyr pour
une armée de trois cent mille hommes, diminué du cinquième par le marquis de
Clermont-Tonnerre, fut réduit, par une ordonnance du 12 novembre 1830, à trois
cents officiers, dont vingt colonels, vingt lieutenants-colonels, soixante chefs
de bataillon et deux cents capitaines. Cette ordonnance signée du maréchal Gérard,
ne reçut pas son exécution : le maréchal Soult, non-seulement maintint le
premier effectif du corps, mais il consolida son existence en y amalgamant le
corps des ingénieurs-géographes.
Depuis longtemps on avait
trouvé que la coexistence de ces deux corps formait double emploi. Sans doute
les ingénieurs géographes étaient capables de remplir le service important des
reconnaissances. Si la pensée qui avait dicté le décret impérial du 30 janvier
1809, et fait prendre rang au corps des ingénieurs-géographes parmi les corps
spéciaux, en tirant les sujets de l'École polytechnique, avait présidé à
l'exécution du décret, il est probable que ce corps eût servi de souche à un
corps d'état-major : mais puisqu'enfin il n'avait pas acquis son
développement sous l’Empire, faute d'une instruction suffisamment militaire ;
que le maréchal Saint-Cyr avait négligé d'en faire le noyau du nouveau corps
d'état-major, et que les ingénieurs-géographes, par la nature ambiguë de leurs
attributions, n'appartenaient ni au civil ni à l'armée, il convenait de les
fondre dans l'état-major. Cette fusion était réclamée dans l'intérêt de l'État,
aussi bien que dans celui des deux corps. L'état-major devait trouver dans les
ingénieurs-géographes, livrés exclusivement jusqu'alors à la science des hommes
qui propageraient dans son sein le goût des travaux scientifiques ; dans les
vieux capitaines qui avaient exécuté de si beaux travaux topographiques à suite
des armées, pendant les guerres de l’Empire, des guides sûrs pour les jeunes officiers :
tandis que les lieutenants géographes acquerraient, par l’étude et le contact
avec leurs nouveaux camarades, les connaissances militaires et pratiques qui
leur manquaient, et trouveraient, ainsi que les capitaines, un dédommagement à
la perte de leur titre dans les chances d'avancement qui leur étaient offertes.
C’est dans ces vues que l’ordonnance du 22 février 1831 réunit le corps des
ingénieurs-géographes à celui d'état-major et fixa le cadre de celui-ci après
la fusion à :
33
colonels
33
lieutenants-colonels
109
chefs de bataillons
326
capitaines
Total : 501 officiers.
sans compter les capitaines
et les lieutenants détachés, les lieutenants aides-majors, les sous-lieutenants
détachés et lieutenants élèves.
Cette réunion eût été désavantageuse
aux ingénieurs-géographes, s'ils avaient été admis dans le corps d'état-major
d’après la législation en vigueur, car ils n'auraient pris rang dans chaque
grade qu'à la fin du tableau ; au contraire, s’ils avaient été pris dans leur
rang d'ancienneté à la date de leur brevet, comme ils étaient tous très anciens,
ils auraient été portés à la tête du tableau et auraient causé un tort réel aux
officiers d'état-major. Pour respecter tous les droits et concilier tous les
intérêts, on réserva aux ingénieurs-géographes le neuvième des vacances de tous
grades correspondant à la proportion de l'effectif des grades de leur corps à
celui de l'état-major. Ce mode d'avancement, qui devait être suivi jusqu’à ce
que tous les ingénieurs géographes eussent été promus à un grade supérieur à celui
dont ils étaient pourvus au moment de l'amalgame, fut ensuite abandonné à leur
profit par les officiers d'état-major, pour opérer une fusion plus prompte et
plus amicale.
Deux ans s'étaient à peine
écoulés depuis l'ordonnance de fusion, que, les circonstances sous l'empire
desquelles elle avait eu lieu cessant d'être aussi inquiétantes, le
gouvernement crut pouvoir ramener sans secousse, et au moyen de retraites accordées
à de vieux officiers, le corps à peu près à son complet primitif. En
conséquence une ordonnance du 23 février 1833 réduisit son cadre à :
30
colonels,
30
lieutenants-colonels,
100
chefs d'escadron,
300
capitaines,
Total
: 460 officiers.
sans compter cent
lieutenants, et cinquante sous-lieutenants élèves.
Cette ordonnance porte que
le corps sera recruté par des sous-lieutenants de toutes armes, ainsi que par
des élèves de l'École polytechnique et de l'École militaire, ayant satisfait
aux examens de sortie; elle permet les permutations sous conditions d'examen,
et autorise le passage des officiers de tout grade dans l'infanterie et la
cavalerie, par des moyens plus rationnels que ceux spécifiés dans l'ordonnance
du 10 décembre 1826 ; elle décide que les officiers pourront être attachés aux ambassades,
qu'ils seront employés au dépôt de la guerre, soit pour les travaux de cet
établissement, soit pour ceux de la carte de France, ou autres analogues. Elle
impose aux lieutenants deux ans de service dans l'infanterie, puis deux ans
dans la cavalerie, et suivant les circonstances, une cinquième année à la suite
d'un régiment d'artillerie ou du génie ; elle détermine le service des
officiers détachés dans les corps de troupes, enfin elle transforme le comité
permanent en une commission d'examen qui tient ses séances du 1er octobre
au 1e avril.
La commission procède aux
examens d'admission à l'École d'application et de sortie de cette école, ainsi
qu'à ceux des officiers qui se présentent pour entrer dans le corps par permutation
; elle rédige et propose au ministre les règlements sur l'organisation et le
régime intérieur, censure les cours et arrête les programmes d'entrée et de
sortie de l'École d'application ; elle a aussi dans ses attributions les
travaux d'étude annuels des lieutenants et des capitaines détachés dans les
corps, ainsi que ceux des capitaines non détachés qui n'ont pas deux ans de
grade et de fonctions d'état-major ; elle classe ces travaux, ainsi que ceux
des autres officiers du corps; elle dresse le tableau d'avancement ; enfin elle
tient une matricule.
Cette ordonnance de
réformation ne reçut pas sa pleine et entière exécution ; d'abord, le maréchal
de camp, qui, aux termes de l'art. 29, devait remplacer, dans la commission
d'examen, le directeur du dépôt de la guerre président, ne fut point désigné
parmi ceux qui avaient été colonels d'état-major comme le voulait cet article ;
ensuite des obstacles s'opposèrent à l'ouverture de la matricule au secrétariat
de la commission, en sorte qu'on ne put inscrire les rapports annuels des
inspecteurs généraux et des généraux commandants, sur la conduite et les services
des officiers, ainsi que les notes de la commission sur leurs travaux, comme le
prescrivait l'art. 36, afin de pouvoir rendre compte chaque instant de leur
mérite, de leurs services relatifs, et de leur assigner en tout temps la
meilleure destination enfin, l'ordonnance du 16 mars 1838, relative à l'avancement,
enleva à cette commission, par l'article 134, titre V, la plus essentielle de
ses attributions, l'établissement du tableau d'avancement par ordre de mérite,
pour en charger une commission temporaire composée de cinq lieutenants
généraux.
Le 18 juin 1841, une
ordonnance royale portait création d'un comité consultatif d'état-major.
Le 3 mai 1848, un décret
réduisait le cadre des officiers d'état-major, et était abrogé par un autre
décret du 20 décembre 1851.
A cette époque le
recrutement du corps se faisait avec difficulté par suite des nombreuses
mesures de détail prises depuis 1830, mesures qui semblaient avoir eu pour
résultat d'isoler de plus en plus le corps de l'armée, ou de le confiner dans
un service trop restreint, aussi parce qu'en entrant dans le corps, on était
loin d'y trouver les chances d'avancement offertes dans la cavalerie et
l'infanterie aux officiers sortant des écoles militaires. D'après l'ordonnance
de 1833, les élèves de Saint-Cyr qui désiraient concourir pour entrer à l'École
d'état-major devaient sortir dans les trente premiers, et il arrivait que le
nombre de ceux qui se présentaient, ajouté à celui des sous-lieutenants autorisés
à concourir avec eux, était à peine suffisant pour le nombre de places
disponibles. C'est alors qu'intervint le décret du 12 avril 1852 autorisant à
concourir les trente premiers élèves sortant de Saint-Cyr qui le demanderaient.
Ce décret, qui ne modifiait en rien les dispositions importantes du deuxième paragraphe
de l'art. 27 de l'ordonnance de 1833, et qui ne faisait que faciliter les
conditions d'entrée sans offrir des avantages de nature à appeler un plus grand
nombre de candidats, fut complété en 1858 par un second décret (24 avril).
Celui-ci déterminait que le ministre réglerait chaque année le nombre des élèves
à admettre à l'École d'état-major, ce qui permettait une application plus large
de l'art. 27 de l'ordonnance de 1833.
Enfin, par un décret du 8
juin 1861 relatif aux modifications à apporter à l'organisation de l'École spéciale
militaire, le nombre de candidats élèves de Saint-Cyr doit être, en principe,
double de celui formant, pour l’année, le recrutement de l'École d'état-major.
*
* *
Avant
de la guerre de 1870, l'exercice même du commandement est donc assuré par
l'existence, auprès des généraux, du corps spécial d'état-major, fournissant à
la fois les aides de camp et les états-majors proprement dits. Ce corps se
recrute par voie de concours, parmi les élèves de Saint-Cyr et les
sous-lieutenants de l'armée, et par voie directe, parmi les élèves de l’École
polytechnique, dont deux ou trois par an sont admis, sans examen, à l'École
d'application d'état-major. Après deux années de cours, ces officiers sont classés
définitivement dans le corps, avec le grade de lieutenant, mais n'en exercent
les fonctions qu'après des stages d'une durée totale de cinq ans dans les trois
armes de l'infanterie, de la cavalerie et de l'artillerie.
« Tel
est le corps d’état-major écrit Le général Thomas, corps essentiellement fermé,
comme on le voit, composé d'officiers instruits ou tout. au moins ayant reçu
une instruction spéciale, peu familiers avec le service des troupes et formant
eux-mêmes deux catégories assez tranchées : d'une part, les officiers brillants
et hommes du monde, recherchés comme aides de camp ; d'autre part, les officiers
travailleurs, ferrés sur les règlements, occupés dans les bureaux à un métier
peu fait pour développer les aptitudes militaires, forcés en tant cas de persévérer
jusqu'un bout dans une carrière qu'ils avaient choisie à un moment où leurs
idées n'étaient pas encore bien arrêtées et pour ainsi dire, ils ne se connaissaient
pas eux-mêmes. On avait donc, en créant le corps d’état-major, coupé court à de
graves abus et remédié à un mal profond ; mais si le principe était bon,
l'application en laissait fort à désirer. Aussi, de nombreuses plaintes s’élevèrent-elles
contre les officiers d’état-major, jalousés par les officiers de troupe pour des
avantages souvent plus apparents que réels, pour l'avancement rapide donné aux
plus brillants d'entre eux et dont le plus grand nombre était loin de profiter,
pour le ton de supériorité et les airs de commandement que certains puisaient
dans commerce journalier des généraux. »
Ajoutons
qu'aucun règlement ne fixe les attributions ou les fonctions de l’état-major,
en sorte que le service y est uniquement dirigé par quelques traditions et
surtout la routine, qui exclue de parti pris le corps d'état- major de toute participation
à la préparation de la guerre, exclusivement réservée aux bureaux du Ministère.
Il en résulte pour les officiers d'état-major une situation effacée et indigne
du réel mérite qui est l'apanage de la plupart d'entre eux, condamnés à
confiner leur activité et leur intelligence dans les limites très bornées d'un
champ d'action où leurs qualités ne tardaient pas à s'émousser. Placés, après quelques
années de ce régime, aux prises avec les difficultés de la guerre, ils se montrent
généralement inférieurs à leur mission, et ne rendent ni dans les reconnaissances,
ni dans la préparation et la rédaction des ordres, les services qu'on était en
droit d'attendre d'eux.
Une
pareille situation ne peut échapper à la perspicacité du maréchal Niel. Aussi,
en 1868, essaie-t-il de tirer l'état-major de la torpeur où on le laisse s’enliser,
en demandant à ses membres des travaux sur les armées étrangères et des études
sur les principaux problèmes alors à l'ordre du jour. Plusieurs répondent à cet
appel, et il en résulte des brochures intéressantes et utiles. Mais ces travaux
individuels, qui émanent de personnalités déjà en vue, ne constituent aucun
changement dans le fonctionnement général du service d'état-major. A la veille
de la guerre de 1870 celui-ci continue à s'user dans une bureaucratie
improductive et ne se prépare en aucune façon aux responsabilités redoutables qui
vont bientôt lui incomber.
Le maréchal Niel, ministre de la Guerre.
*
* *
Après le désastre de 1870, c’est l’heure des bilans et d’une
réflexion particulièrement vive sur les causes militaires ; l’accent est
mis en priorité sur l’incompétence du haut-commandement et des états-majors.
Rejeter toute la responsabilité de la défaite sur le corps d’état-major était
peut-être excessif, mais il était sûrement responsable de la carence de la
pensée militaire française.
La volonté de réforme s’englua d’abord pendant neuf ans dans des
commissions dont il n’est pas inintéressant de retenir certains points de vue :
- La commission présidée par le général Pourcet (1871-1872) :
Composée de douze officiers généraux du corps d’état-major, chargée de le
réorganiser, elle conclut au maintien du corps fermé, avec toutefois une
passerelle pour un recrutement vers toutes les armes. Mais une minorité (dont
le général Lebrun) rédige un contre-projet et obtient de remettre au ministre
son « opinion dissidente » sous forme de projet de la minorité.
Original, il est à la base de textes ultérieurs. Il prévoit :
- la suppression
du corps d’état-major,
- la création
d’un service d’état-major où pourront être admis par concours tous les officiers,
de capitaine à colonel (320 officiers),
- la formation
d’officiers aides d’état-major parmi les officiers de troupe, ce qui permettait
de porter les effectifs du temps de paix au complet de guerre,
- la
transformation de l’École d’application d’état-major en École de guerre ayant
pour objectif de donner à de jeunes officiers recrutés par concours, une
instruction supérieure et de faciliter leur préparation au concours d’admission
dans le service d’état-major.
L’avis de la majorité, transformé en projet de décret, restera
dans les limbes.
- La commission d’organisation présidée par le général Castelnau (1874) : Les objectifs ont été cette fois nettement définis par le ministre, le général du Barail, dans un rapport au président de la République, Mac Mahon : « Donner aux officiers de toutes armes, reconnus aptes, une instruction étendue et approfondie dans les branches les plus élevées de l’art de la guerre, les initier aux connaissances étrangères à la spécialité de leur arme, préparer ainsi des éléments pour le recrutement des grades supérieurs de l’armée, tel doit être, un peu de mots, le but d’une semblable institution qui devait en outre former des officiers pour les fonctions d’état-major ».
La formation des officiers d’état-major n’est donc pas l’objectif
premier. Toutefois, du Barail précise ultérieurement à Castelnau : « …bien que la création d’une École supérieure de guerre
puisse être regardée comme indépendante de la réorganisation du corps
d’état-major et recevoir ainsi la solution qui lui est propre, il n’en existe
pas moins entre ces deux ordres d’idées une relation intime… ».
La commission Castelnau aboutit à conserver un corps d’état-major
fermé, à transformer son école d’application en école d’application de
l’infanterie et de la cavalerie où les lieutenants, sortis de Saint-Cyr dans ces
armes, pourraient se préparer à l’École supérieure de guerre, à la sortie de
laquelle, en fonction du classement, les stagiaires seraient admis à choisir
soit le corps permanent d’état-major soit le retour dans leur arme. Plusieurs
projets de loi successifs modifiant ces propositions restèrent mort- nés.
*
* *
Devant ces tergiversations, le nouveau ministre de la Guerre, le
général de Cissey, décide, par décret du 18 février 1875, la création de Cours
spéciaux d’enseignement supérieur, d’une durée de 2 ans, destinés à préparer
les officiers de toutes armes au service d’état-major, après concours
d’admission. Ces cours ouvrent le 15 mai pour les 72 officiers admis (c’est la
première promotion de ce qui deviendra l’École supérieure de guerre). Le
général Lewal en prend la direction en septembre 1877.
L’École d’application d’état-major, abandonnant son appellation
devient le 15 juin 1878 l’École militaire supérieure.
La loi sur le service d’état-major, enfin votée le 20 mars 1880, supprime le corps d’état-major et crée un service d’état-major.
- le service
d’état-major est assuré par un personnel de toutes armes, titulaire du brevet
d’état-major, employé temporairement à ce service, et placé hors cadres mais
continuant à appartenir à son arme et y concourant pour l’avancement ;
- le personnel
du service d’état-major doit comprendre 300 officiers (dont 140 capitaines).
- l’École militaire supérieure devient l’École supérieure de guerre où peuvent être admis par concours les capitaines, lieutenants et sous-lieutenants de toutes armes ayant accompli cinq années de service comme officier, dont trois dans la troupe. Après avoir satisfait aux épreuves de sortie, ils reçoivent le brevet d’état-major. Peuvent y prétendre aussi les capitaines et officiers supérieurs de toutes armes après examen spécial ; ce seront les brevets directs.
Le général Courtot de Cissey, ministre de la Guerre.