Il y a trente ans... la 49e promotion de l’École supérieure de guerre (1927-1929) par le colonel YVON.
1 - Origine et composition de la promotion.
Cette promotion, qui avait effectué ses épreuves écrites en décembre 1926 et passé les examens oraux en mars-avril 1927, constituait, aux dires des professeurs consultés par la suite, un très honorable noyau d'officiers stagiaires d’une moyenne d’âge de 32-33 ans ayant pour plus de la moitié servi avant 1914 ou ayant fait la guerre 1914-18 ; une dizaine de lieutenants figurant l’élément jeune y représentaient la montée des jeunes générations. La liste d'admission parue au JO du 18 mars 1927 comprenait un seul officier supérieur, le chef de bataillon DE LATTRE de TASSIGNY qui venait d'accomplir un long séjour au Maroc. Les autres avaient terminé la guerre comme capitaines ou lieutenants anciens. Plus de la moitié avait fait campagne aux théâtres d’opérations extérieurs ou servi à l'étranger dans diverses missions. La promotion comptait 76 officiers français, 29 officiers étrangers, et 3 médecins stagiaires. La répartition entre les différentes armes était la suivante :
- Infanterie : 5 français dont 7 coloniaux, et 14 étrangers
- Artillerie : 10 français, dont 1 colonial, et 8 étrangers
- Cavalerie : 6 français et 4 étrangers
- Génie : 2 français et 2 étrangers
- Aéronautique : 3 français et 1 étranger (américain).
- Total : 76 français et 29 étrangers
Les trois aviateurs provenaient de l'infanterie (un) ou de la cavalerie (deux). Le commandant DE LATTRE était passé de la cavalerie dans l'infanterie pendant la guerre, ainsi que le capitaine LACROIX. Le capitaine de HESDIN (artilleur) venait de la cavalerie, ainsi que le capitaine de VILLELUME. Le capitaine MONNE, artilleur, venait de l'infanterie. Parmi les officiers français :
- 46 sortaient de l'École spéciale militaire.
- 5 sortaient de l'École polytechnique.
- 1 sortait de l'École normale supérieure (lettres).
- 1 sortait de l'École supérieure des PTT (brevet technique).
- 2 sortaient de l'École militaire d'infanterie de Saint-Maixent.
- 1 de Fontainebleau.
- 1 de Versailles.
Trois officiers étaient spécialistes de chars. De nombreux stagiaires parlaient au moins deux langues étrangères, dont quatre couramment le russe. Trois ou quatre étaient gradués en droit, ou en sciences.
Deux officiers français (LAMBERT-DAVERDOING et MAZIER) furent tués en service commandé pendant les stages d'aviation. Le capitaine CONDAMINAS fut tué, en fin de 1re année, au cours des voyages d'état-major, par accident de cheval, à Ablis. Le commandant AYALA (Paraguay) a simplement accompli la 1re année de stage.
Trois médecins étaient en outre attachés à la promotion pour en suivre les cours et aider le médecin lieutenant-colonel SCHNEIDER, médecin de l’École, à donner les soins aux élèves et à leurs familles.
Ils étaient destinés à faire les médecins détachés ultérieurement dans les 4es bureaux d'état-major d'armées.
2 - Réunion de la promotion.
La promotion fut remue pour la première foi aux Héronnières à Fontainebleau pour y accomplir un premier stage à l’École des projecteurs et de matériel automobile, puis les officiers se dispersèrent pour aller accomplir leurs stages dans les diverses unités (avril 27).
Vingt-six officiers reçurent au cours du stage d'aéronautique le brevet d'observateur en avion, démontrant ainsi que dans l'armée française de 1939 on aurait pu aussi disposer, si on les avait cherchés, de ces officiers généraux â trois dimensions si vantés dans l'armée allemande de l'époque.
La promotion entra à l'École au début d'octobre 27. Elle fut régulièrement reçue par la 48e promotion. Les deux chefs de promotion (chef d'escadron RICARD et chef de bataillon DE LATTRE) prononcèrent les discours d'usage, les officiers étrangers furent intégrés dans les divers groupes, et le travail commença immédiatement, intense, méthodique et fructueux.
Beaucoup d'officiers se connaissaient déjà, ce qui contribua dans une large mesure à instaurer l'atmosphère de saine camaraderie, jamais démentie qui caractérise l'esprit de la promotion. La personnalité du commandant DE LATTRE DE TASSIGNY comme chef de la promotion est remarquablement esquissée dans un article du général LAVAUD paru dans le Bulletin trimestriel de l’Association des Amis de l’École supérieure de guerre.
3 - Niveau d'études de la promotion
L'éloge des deux directeurs de l'École de 27-29, le général HERING et ensuite le général DUFFOUR, n'est plus à faire. Tous les deux ont marqué renseignement militaire d'entre les deux guerres d'une manière originale. Le général HERING avait profondément réfléchi aux grands problèmes tactiques et se trouvait, bien que de formation scientifique, doué d'un esprit imaginatif tout autant que raisonné ; il refusait de se laisser enfermer dans une doctrine compassée, figée, beaucoup trop rattachée aux fictions de la guerre de siège et du front continu qui nous avaient été imposées depuis la Marne jusqu'en 1918. Bien qu'artilleur, il semblait déplorer le fait de voir notre infanterie, prisonnière de la mission essentielle de couvrir un lourd système d'artillerie et ses transmissions et préconisait la décentralisation, en cas de guerre de mouvement ou de rupture du front, par l'éclatement des lourdes divisions en groupements tactiques des trois armes, pourvus de blindés.
Au moment où diverses théories s'affrontaient en haut lieu, tandis qu'il s’agissait de prendre une décision sur l'adoption ou non d'un système de guerre basé sur l'organisation préalable d'un front continu fortifié (ligne Maginot), alors que le travail préparatoire avait été effectué du temps du cabinet Painlevé, il avait pris ses responsabilités. Beau joueur, il s'était incliné mais il avait tenu à exposer lui-même la solution qui consacrait l'adoption, par le Parlement, de la théorie de la guerre défensive, c'est-à-dire du moindre effort et de la volonté d'inscrire notre « décision définitive » sur le terrain, par la construction d'ouvrages fortifiés, où l'on ferait la guerre en pantoufles, avec cinémas, foyers, etc... Cette décision eut pour résultat, comme chacun sait, de provoquer le détachement de tous nos alliés de l'Est, et de nous priver de l'armée et du matériel indispensables pour attaquer et réaliser une manœuvre offensive d’envergure au moment de l'invasion de la Pologne.
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Mais n’avions nous pas déclaré « la paix au monde » dès l'avènement du cartel des gauches en 1924, réduit le temps de service et les périodes de réservistes, malgré les expériences cruelles mais réelles de la guerre du Rif (1925-27) et de Syrie (1926), où notre « infanterie s'était montrée très timide » et où il avait fallu désorganiser la mobilisation de l'armée française pour envoyer 100.000 hommes sur ces deux théâtres d’opérations extérieurs. Plus encore que par l'antimilitarisme, la France était pourrie par le désir de s'endormir au milieu d'un monde qui vivait plus dangereusement que jamais. La suite allait le démontrer.
Le successeur du général HERING fut le général DUFFOUR. Remarquable officier d'état-major et beau soldat : le régiment qu'il commandait pendant la guerre avait été cité deux fois à l'ordre de l'armée. Auteur d'un cours d'histoire de la Guerre 14-18, qui constitue encore maintenant le seul ouvrage vraiment maniable de l'époque, donnant des aperçus d'ensemble sur la stratégie alliée et des renseignements précieux sur la composition des diverses armées et les campagnes de la 1re Guerre mondiale. Il était assisté à la direction des études par le général LANOIX, dont un des travaux principaux était l'ajustement des programmes d'instruction des deux promotions présentes à l'École.
Les cours d'instruction générale se limitaient à quelques conférences faites par des professeurs d'université. Monsieur BARDOUX sut nous intéresser ainsi que les officiers supérieurs du Centre des hautes études militaires par une série d'entretiens sur le Congrès de Vienne. Une conférence sur les Alpes par M. BLANCHARD, professeur à l'université de Grenoble, et une autre sur l'Indochine ont marqué dans ma mémoire ainsi que celles de M. SIEGFRIED sur la Chine et les États-Unis.
Le cours de tactique générale dirigé par le colonel MEULLE-DESJARDINS, puis par le colonel Ducasse et enfin par le lieutenant-colonel ALTMAYER se ressentait des hésitations du Parlement et du gouvernement sur l'orientation à donner à notre politique et à notre stratégie. Parmi les professeurs les plus écoutés, il convient de citer le lieutenant-colonel d'artillerie JANSSEN. En deuxième année furent esquissées quelques manœuvres de corps d'armée et d'armée qui portaient la question déjà plus haut et plus loin que la tactique opérationnelle divisionnaire étudiée en 1re année. Le commandant BRUNEAU, le lieutenant-colonel ALTMAYER, le lieutenant-colonel CHADEBEC de LAVALADE ainsi que le commandant SALAUN, nous proposèrent des travaux intéressants, tenant compte d'une motorisation « envisagée ». Mais, dix ans après, on discutait encore de cette motorisation et les thèmes tactiques traités dans les états-majors indiquaient formellement que « l'on n'attaquerait pas ». C'était la seule directive que nos grands chefs avaient pu obtenir de nos politiciens de l'époque.
Ce qui nous paraissait étonnant dès 1927, c'est qu'il ne fut jamais question dans les études que l'on nous faisait faire, de lois d'organisation de notre armée, des forces morales, de nos alliances probables, des potentiels de guerre réciproques. Les conférences sur les armées étrangères déconcertaient par leur prudence. Il semblait qu'on négligeât complètement les enseignements qui auraient pu être tirés du front Est entre 1914 et 1918 ; la conférence sur l'armée soviétique par le colonel SIMON, ancien attaché militaire à Moscou, fut écoutée par un seul professeur, le colonel GIRAUD. Quant à la philosophie militaire il n'en était pas question.
Le cours d'histoire militaire organisé par le colonel GRASSET et le colonel DAILLE, était professé par le colonel LESTIEN et le lieutenant-colonel PUGENS et ne se référait qu'à la guerre 1914-18, dont il étudiait armée par armée les phases d'une bataille. En 1926-29 le cours n'avait pas dépassé les batailles de 1914. Il était intéressant, parce que très vivant et basé sur les lettres et témoignages d'officiers ayant pris part aux divers combats, choisis parfois parmi les professeurs ou les stagiaires eux-mêmes. Accessoirement, le colonel LESTIEN exposait certains problèmes d'organisation et de tactique générale du XVIIIe siècle, en une série de causeries très documentées.
Les cours d'armes se ressentaient un peu de cette attention trop uniquement fixée sur un passé récent que l'état-major de l'armée semblait vouloir tenir comme un cadre définitif.
Le cours d'artillerie était remarquablement dirigé par le colonel CHAUVIN et professé par le lieutenant-colonel DE LA PORTE DU THEIL. Malheureusement, le matériel qu'il mettait en œuvre était déjà périmé, et les plus habiles déplacements d'artillerie ne palliaient pas sa portée insuffisante ou sa vulnérabilité sous des bombes d'avion.
Le cours d'infanterie avait mis le combat du fantassin en formules telles que « le char est une voiture qui livre du feu à domicile », et faisait de la base et du plan de feux une panacée universelle. Le lieutenant-colonel GIRAUD, venu du Maroc avec une nouvelle équipe, les commandants de MONSABERT, Henri MARTIN, DODY, s'efforçait de nous sortir de l'emprise du front continu et de la guerre de siège.
Le cours de cavalerie, dirigé par le colonel DE LA LAURENCIE, nous apparaissait comme très timide. Le fait d'avoir posé le problème du mouvement d'une division de cavalerie à cheval dans un cas, motorisée dans un autre, d'Estrées-Saint-Denis vers le nord d'Arras et de ne pas avoir osé trancher en faveur soit de l'un, soit de l'autre des deux modes de transport, sur le plan de la rapidité, avait comblé la promotion d'étonnement.
Le cours du génie, dirigé par le colonel CHAUVINEAU (un des auteurs du projet Painlevé de la ligne dite Maginot), tendait à nous démontrer l'excellence des lignes fortifiées du moment, successives et coulées dans le béton, en moins de trois à cinq jours. Le cours était bien fait, et bien qu'orienté entièrement vers la défensive faisait ressortir l'importance prise par l'arme du génie. La visite des ouvrages de Verdun et de Metz en fin de 1re année fut remarquablement conduite par le lieutenant-colonel SAINTAGNE et les enseignements retirés en furent précieux pour les reconnaissances que nous eûmes à effectuer sur divers points de la frontière à fortifier. En réalité, le cours justifiait la théorie du moindre effort : Vaincre sans attaquer, qui était celle des gouvernements de l'époque.
Le cours d'aéronautique, dirigé par le colonel HOUDEMON, était un des plus intéressants, tout au moins dans ses applications tactiques et dans les travaux proposés, où l'on voyait déjà plus haut et plus loin que les taupinières de Berry-au-Bac ou des Éparges. Deux de nos camarades, ROMATET et BERGERET nous firent les conférences sur la « chasse » et le « bombardement » où ils avaient brillé pendant la guerre 14-18. Manifestement, les aviateurs cherchaient leur voie et la trouvaient, plus vite que les blindés, ayant plus de liberté dans leur organisation nouvelle indépendante que les chars sur qui pesait la suspicion du qualificatif « d'arme offensive » et qu'on avait intégré dans une organisation ancienne ce qui ne déplaisait d'ailleurs pas à une opinion « défensive » avant tout.
J'allais oublier les cours de langues. En anglais et en allemand, des officiers plus ou moins spécialistes s'efforçaient d'inculquer aux officiers stagiaires la langue « militaire » comme le désirait l’état-major de l’armée. Or, il n’existe dans aucune langue, de langue militaire proprement dite. Hors un vocabulaire spécial, qu’un étudiant connaissant bien la langue, sa philosophie et sa syntaxe s’assimile en quelques leçons. On l’avait compris à l’École supérieure de guerre pour le russe où un professeur de l’École des Langues orientales, M. BEAULIEU, venait deux fois par semaine et donnait des leçons de russe normal et non pas de russe militaire. Il n’y avait pas de cours d’arabe, et pourtant plus de la moitié de l’infanterie française était composée de Nord-Africains.
Les conférences sur les services furent faites par le médecin lieutenant-colonel SCHNEIDER, médecin de l’École, et l’intendant militaire CHAUMONT, directeur de l’École de l’intendance, dont les élèves prenaient part avec nous aux exercices de 4e bureau sur la carte, en tant qu’auditeurs libres, ainsi que les trois médecins stagiaires. Elles étaient correctes. La logistique n’avait pas encore pris la place qui fut la sienne durant la 2de Guerre mondiale.
Parmi les questions qui relèvent maintenant plis de l’École d’état-major que de l’École supérieure de guerre, qu’il me soit permis de citer celles qui nous paraissaient les plus intéressantes et n’avaient pourtant pas toujours reçu une solution nécessaire :
En 1914, 50% des officiers ne savaient pas téléphoner. Dans notre promotion 50 à 55% des officiers ne savaient pas conduire en arrivant à Fontainebleau. Les stages les mirent en mesure de passer leur brevet de conduite. Les cours de conduite continuèrent à l’École, ainsi que le cours de réparation.
Une idée du général MAURIN, et de notre camarade REVERS, eut facilité bien des choses, si elle avait été mise en pratique. L’inspecteur général de l'artillerie préconisait, dès 1926, que par analogie avec ce qui se passait avant la guerre de 14, lors de la remonte des officiers, chaque officier reçut sa voiture, moyennant un premier versement assez faible. L'État avançait le reste, moyennant quoi la voiture restait sa propriété jusqu'au remboursement par l'officier des 2/3 de sa valeur. Dès lors elle devenait propriété de l'officier. Celui-ci aurait dû accepter le modèle imposé, tenir la voiture prête à toute réquisition, payer l'entretien et les assurances. L'idée ne semble pas avoir perdu toute valeur en 1959.
Il existait une salle, où une trentaine de vieilles machines tendaient leurs touches aux officiers qui, aux heures perdues, venaient s'exercer à la dactylographie. Tout officier et surtout tout officier d'état-major devrait savoir taper sous la dictée et rédiger à la machine. Il nous aurait paru normal que, dès son admission à l'École de guerre, tout officier eut reçu une machine à écrire portative du dernier modèle.
Il n'existait pas de cours de télécommunications et de chiffrement. C’était une lacune considérable dans l'instruction. J'ai rendu compte par ailleurs de mes difficultés dans mon poste d'Extrême-Orient, en 1940-45, lorsque je fus muni clandestinement de codes, non déposés à la commission d'armistice. Ces codes n'étaient employables que par fil. Or, depuis 1936 les communications avec la Chine ne se faisaient plus que par TSF. Les marins savaient chiffrer. Les agents des Affaires étrangères, y compris les ambassadeurs, disposant d'ailleurs de tables de chiffres très commodes, savaient chiffrer. Les problèmes sont les mêmes pour les écoutes radiophoniques. Nous n'étions pas munis de postes de TSF et trop peu familiarisés avec les transmissions.
4 - Les stages d'armes. Enseignements.
Les stages d'armes furent accomplis, soit avant l'entrée à l'École, soit entre la 1re et la 2e année.
a) Stage au 503e régiment de chars de combat
Aussitôt après la 1re réunion de l'École pour le stage automobile à l'École des projecteurs de Fontainebleau, au cours duquel il nous fut donné de visiter le musée d'artillerie très complet et d'en recevoir le catalogue qui simplifiait heureusement la masse de règlements sur les divers matériels d'artillerie sur lesquels nous avions risqué d'être interrogés à l'oral (122 je crois) , nous fûmes envoyés, groupés, au 503e régiment de chars de combat à Satory. La proximité de l'École des chars à Versailles nous permit de recevoir des enseignements assez complets sur le matériel et les théories d'emploi de l'arme blindée, uniquement composée des petits chars Renault, avec lesquels nous avions terminé la guerre. La doctrine était définitivement fixée, les chars étaient rattachés à l'infanterie dont ils constituaient une subdivision d'arme spéciale et ne devaient être employés qu'en liaison intime avec elle.
Nous apprîmes à conduire un char dans les fondrières de Satory, et le stage d’un mois effectué dans un régiment squelettique ne nous apporta rien de bien nouveau.
b) Stages dans l'aéronautique.
Lee stages dans les régiments d'aviation commençaient le 9 mai 1927. Le but du stage était double :
Donner aux officiers reçus à l'École de Guerre un aperçu sur la vie intérieure de l'Aéronautique et ses possibilités en temps de guerre (stage d'information).
Donner aux officiers reconnus aptes, l'instruction d'observateurs.
Nous fûmes à cet effet répartis entre les régiments d'aviation de l'armée du Rhin, à la 3e et la 4e brigade mixte aérienne, à la 1re et à la 2e division aérienne.
Le 34e régiment d'aviation (Le Bourget) reçut aussi un bon nombre d'entre nous et après le stage d'information, tandis que certains de nos camarades rejoignaient les régiments d'infanterie ou de cavalerie, nous commençâmes au début de juin notre entraînement en vue d'obtenir le brevet d'observateur. Le travail était neuf et intéressant : c'était vraiment quelque chose de nouveau, bien que les moyens restassent encore très faibles et que les cadres soient loin d’être formés comme instructeurs, mais le matériel de l'arme nouvelle commençait à sortir (Breguet 19 au lieu du Breguet 14). J'avais choisi Le Bourget. Je n'eus pas à le regretter. Malgré la charge que nous représentions pour le régiment, divisé en un groupe de chasse (commandants WEISS et PINSARD), un groupe de grande reconnaissance, un d'observation de bombardement (commandant GAMA et commandant LAURENT), l'instruction y était bien donnée et le matériel à peu près entretenu. Le temps « moyen » qui régna sur l'Ile-de-France cet été là, nous permit de nous rendre compte qu'on ne volait pas toujours quand on voulait (à l’époque) et que les servitudes du matériel avaient aussi leur mot à dire.
Nous eûmes la joie d'assister à la réception de l'aviateur Lindberg, venu de New-York au Bourget sans escale, et qui atterrit le samedi 21 mai 1927 alors que personne ne l'attendait plus. De même, nous eûmes la visite, le 29 juin, du ministre de l'Air italien M. BALBO, à bord de son Fiat 22/370. Nous pûmes constater la légèreté et l'élégance de son parachute, beaucoup plus maniable que les énormes et très incommodes parachutes dont nous étions dotés.
Pendant notre stage, COSTE et BELLONTE prirent leur envol du Bourget pour leur raid vers la Sibérie.
Je sors les détails qui suivent, de mon carnet de stage :
« L'instruction des cadres de l'Aéronautique est une chose très délicate et qui exige de gros efforts, même de la part d'officiers entraînés au travail intellectuel et confirmés dans leur métier. Le programme est vaste. II est loin d'être atteint, faute de temps et parce que les officiers de l'Aéronautique ne sont pas assez nombreux et pas suffisamment déchargés des soucis que leur cause l'entretien de leur matériel... Pour être un bon aviateur, il ne suffit pas de remporter des challenges, c'est un côté de la question. Il faut être certes confirmé dans le métier d'aviateur, mais avoir l'esprit curieux, sans cesse en éveil et se tenir parfaitement au courant de ce qui se fait dans les autres armes, voire dans les autres armées, posséder des connaissances générales étendues et certaines qualités d'à-propos, permettant d'envisager le corps des officiers aviateurs comme une copie du corps des officiers de marine, qui a fait ses preuves en France comme à l'étranger.
L'aviation est une arme d'avenir. Son recrutement doit dès maintenant tenir compte de certaines considérations pour assurer les cadres futurs. »
En 1927, nous étions loin de compte, car si les commandants d'escadrilles avaient été d'excellents pilotes, en fin de guerre, on ne trouvait guère dans les régiments d'aviation, à part les officiers supérieurs, que de rares officiers pourvus de cette instruction générale tant réclamée. Dix ans plus tard, on commençait à les voir apparaître comme capitaines, chefs d'escadrilles et commandants de groupes, mais il a fallu longtemps à l'aéronautique pour posséder un corps normal d'officiers.
c) Stage d'artillerie.
Le stage d'aviation se termina pour les 26 officiers brevetés observateurs en juillet 1927. Immédiatement après, les stagiaires furent répartis dans les divers régiments partant aux manœuvres ou dans les camps.
Avec EYRAUD, FRANCHET d'ESPEREY et RUDLOFF, j'avais été affecté au 310e régiment d'artillerie coloniale portée à Rueil, pour partir au camp de Châlons. Le 310e RACP était un régiment appartenant à la réserve générale. Il était composé de trois groupes de 75 porté, d'un type spécial, chacun des tracteurs porte-canon, ainsi d'ailleurs que tous les autres véhicules, fonctionnait au charbon de bois, à l'aide d'un gazogène. Le régiment était entièrement composé de coloniaux dont environ la moitié du contingent, sous les ordres du lieutenant-colonel ALBISSER et de cadres confirmés. Je ne sais quels furent les résultats de cette expérience, mais durant les deux mois de séjour je n'eus qu'à me louer de ce stage, nous faisant découvrir les perspectives oh ! Combien lointaines de la motorisation. Je regrette que mon carnet de stage ne m'ait jamais été retourné. Il devait contenir quelques notes intéressantes. Nous quittâmes Rueil trois jours après notre affectation à destination du camp de Châlons, trois étapes par les villages du Parisis, Mitry-Mory, la forêt de Villers-Cotterêts et Reims nous amenèrent sans dégâts à Châlons, où nous fûmes logés dans les petits pavillons construits pour les officiers de la suite du Tsar en 1898, et l'instruction technique et tactique du régiment avec, je crois bien, la garnison de Paris, en tout cas avec le 6e régiment hippo de Vincennes se poursuivit régulièrement. Nous fûmes inspectés par le général GOURAUD et présentés par le colonel ALBISSER à cette éminente figure militaire, qui découvrant en ma personne un capitaine, futur breveté, portant les écussons du 2e étranger où je venais de faire la campagne du Rif, ne put s'empêcher de déclarer, an tant que vieil africain, que « si les officiers de la Légion étrangère se présentaient à l’École supérieure de guerre c'était la fin de cet honorable Corps ». Plus tard, six ans plus tard, placé directement sous ses ordres à la Région de Paris, je lui rappelai cette boutade. Il me répondit avec ce sourire indéfinissable qui le caractérisait « Maintenant que vous êtes marsouin, tout est effacé ».
Le stage fut des plus fructueux. Outre la révision et l'apprentissage de tous ces matériels, tout de même oh ! bien timidement, nouveaux nous pûmes faire deux ou trois ascensions en ballon captif et enfin procéder aux tirs réglementaires à la tête de nos batteries respectives. Ce fut plus qu'honorable ; le commandant de groupe nous dit bien qu'une salve longue et une salve courte, aussitôt transformée en salve au but « ce n'était pas de l'artillerie », nous fûmes piqués au jeu et nous lui demandâmes quelques projectiles pour essayer un réglage par la méthode du réticule tangent que nous avions étudiée durant toute une soirée. Là encore ce fut très honorable.
Le Colonel exultait car un ou deux de ses capitaines avaient été étonnés de se voir demander ce genre de tir.
Nous fûmes reçus, ainsi que tous les officiers d'artillerie de la division, sous la tente du général ATGER, commandant l'artillerie de la Division, homme aimable par excellence avec lequel j'avais eu maille à partir à Saint-Cyr, un soir où il était capitaine de garde et où le vent ne soufflait pas du grand carré. Je le lui rappelai également ainsi que les quinze jours d'arrêt de rigueur qui avaient suivi. Il en fut enchanté et nous entonnâmes un « artilleur de Metz solennel », coupe de champagne en mains.
d) Stage de cavalerie.
Pour tous ceux qui avaient employé la plus grande partie de l'été 27 à passer leur brevet d'observateur en avion, le stage de cavalerie - un mois – avait dû être reporté à l'intervalle entre la 1re et 2e année, après le voyage de frontières. J’avais été désigné pour le 1er Dragons (Moulins) que je dus rejoindre vers 1er septembre 1928 au camp de la Courtine, en même temps que le chef d'escadron LEMONNIER et un autre camarade que ma mémoire défaillante m'empêche de situer. Là aussi mon carnet de stage ne me fut jamais retourné. Je rejoignis par Brive et Tulle, dans un pays admirable absolument inconnu de moi, fort pittoresque, mais copieusement arrosé en cet automne 1928.
Nous fûmes reçus magnifiquement par le colonel de MAISONNEUVE et ses officiers au mess de la garnison, où le régiment était seul. Le camp était confortablement aménagé, comme l'avait été celui de Coëtquidan pendant la guerre 14-18 par les Américains, auxquels nous devons beaucoup en cette matière.
Le soir même de notre arrivée, le colonel nous demanda de le représenter à une soirée offerte par la comtesse Germaine des ESCURADIS, château situé au milieu du camp. Des chevaux sellés nous attendraient vers 8h30 après dîner, ce qui nous mettrait vers 9h30 à destination. Nous acquiesçâmes par politesse, mais lorsque j’eûs pris contact avec le lieutenant qui devait nous servir de guide et qui était officier de réserve, arrivé depuis la veille, je flairai le « canular » classique. Rien que le nom des Escuradis m’était déjà suspect, et surtout la phrase de mon vieil ami DE FAURE « Attention aux polards ». Je fus vite convaincu. Sous une pluie battante, nous revêtîmes nos imperméables et nous nous mîmes en selle à l’heure dite, sous l’œil goguenard des cavaliers. Le lendemain, personne ne souffla mot ; je crois que seul Lemonnier regretta de ne pas avoir poussé jusqu’aux Escuradis « lieudit » effectivement marqué sur la carte et qui n’est qu’un « polard » comme les autres et que nous eûmes l’occasion de reconnaître plusieurs fois par la suite au cours des manœuvres à pied ou à cheval du régiment.
La cavalerie à cheval était en train de mourir de sa belle mort et c'était dommage, car elle avait su encore en 1926 écrire de belles pages au Levant.
En tout cas elle conservait ses, belles traditions d'honneur et de combativité qui avaient déjà passé avec ses meilleurs cadres dans l'aviation et qui se perpétue dans les blindés.
C'est au camp de la Courtine que je fis plus amplement connaissance avec LEMONNIER. Non seulement il travaillait comme nous dans la journée avec son escadron, mais le soir, à la lueur d'une bougie, il se perfectionnait dans sa chambre en allemand et en anglais. Nous nous étions liés d'affection et son expérience d'Indochine et d'ailleurs ne fut pas sans influer sur mes destinées. Il poussa la conscience professionnelle jusqu'à demander à faire à ses frais les étapes de retour avec le régiment jusqu'à Moulins, pour mieux connaitre la manière dont se déplaçait sur route un régiment de cavalerie.